La nature des personnages et des espaces cérémoniaux dans les bonnes de jean genet
Des Personnages Marginaux
Toute la richesse dramatique qui caractérise Les Bonnes réside dans le choix de ses personnages : deux bonnes, qui, exposées à la tyrannie de leur maîtresse, engagent une action déstabilisatrice de l’ordre établi. Cependant,dans ces écrits romanesques et autobiographiques, Genet s’est toujours focalisé sur le monde carcéral, pourquoi donc est-ce à travers celui desservantes qu’il a choisi d’entamer le théâtre ? Prend-il leur parti pour dénoncer les discriminations qu’ils subissent ?
Genet ne vise pas dans son théâtre à changer ou à critiquer une certaine réalité. En effet, il précise dans « Comment jouer « Les Bonnes » » [1] qu’ « Une chose doit être écrite : il ne s’agit pas d’un plaidoyer sur le sort des domestiques. Je suppose qu’il existe un syndicat desgents de maison _ cela ne nous regarde pas » [2].
Le dramaturge est donc catégorique ; il ne vise pas dans son théâtre à changer ou à critiquer une réalité des choses. Cette pièce ne peut être perçue comme une sorte de réquisitoire contre une réalité sociale, elle n’est pas là non plus pour résoudre des problèmes sociaux, car, les problèmes une fois exposées au théâtre, semblent résorbés surle plan de l’imaginaire et donnent au public le sentiment rassurant qu’ils n’existent plus et qu’ils n’appellent plus une réaction. Mais si Genet a choisi ces deux bonnes, c’est parce que le monde des servantes n’est pas vraiment étrange à son entreprise. On le sait, l’auteur a toujours était fasciné par les figures marginales du vice ; comme le sont les grands criminels auxquels il a consacré unebonne partie de son œuvre [3]. Dans cette pièce on ne sort pas de la marginalité : la domesticité est propre à « sa mythologie personnelle, à ses topo? de mauvais garçons (le bordel, la prison, les parias de tout poil : homosexuels, bonnes, nègres ou révoltés minables) » [4]. C’est une partie de la communauté genétienne [5] , une communauté faite de tous ceux mis à la marge de la société ; etcomme le témoigne assez bien l’histoire du théâtre, les personnages « valets » ont souvent été anonymes parce que les distributions ne leurs donnaient d’autre identité que leur fonction. Ainsi la dépendance et la non-identité caractérisent de premier abord la situation des personnages ; une situation que suggère le titre, Les Bonnes, qui ne nous donne que l’identité sociale de Claire et Solange, dans unpluriel anonyme, mimé d’emblée par le son saccadé et étouffé que produit la consonne bilabiale [b] amortie par la nasale [n] dans une seule syllabe fermée.
Condamnées donc à l’anonymat, comment évoluent ces deux bonnes à travers la pièce ? Sous quelle visage Genet les peint- il ? Et quels sont justement les signes de leur extranéité ?
Des Personnages étrangers
Ces deux servantes sontlogées et nourries pour accomplir toutes les tâches ménagères sans pour autant être rétribuées. Ce « sont des « Verna » du diminutif latin « vernaculus », qui désigne les esclaves née à la maison. » [6] , elles sont nées pour servir Madame et n’existent que dans le service de Madame :
« Par moi, par moi seul, la bonne existe. Par mes cris et par mes gestes. ». Affirme Claire-Madame, « C’est grâce àmoi que tu es […] Tu ne peux savoir comme il est pénible d’être Madame, Claire, d’être le prétexte à vos simagrées ! Il me suffirait de si peu et tu n’existerais plus. Mais je suis bonne, mais je suis belle et je te défie. »
La personne des deux femmes de chambres s’efface au contact de leur maîtresse, qui, aggrave la laideur et la maladresse de celles-ci et renforce sa majesté et sasupériorité à elle ; et c’est justement à travers la luminosité et la beauté qui caractérisent l’univers de Madame que sont soulignées la déchéance et la décrépitude de celui des deux soeurs. Ce sont des « monstres », précise Genet dans « Comment jouer « Les Bonnes » » ; des monstres dans le sens où elles se présentent comme des personnes d’une laideur effrayante, et des monstres dans le sens où elles…