Montesquieu, les lettres persanes, étude sur la condition des femmes

Les Lettres Persanes sont souvent étudiés dans leur optique de critique et d’analyse politique que Montesquieu fait de son époque. Néanmoins, si on observe la structure du livre, on remarque que la fiction du sérail, qui commence et termine l’intrigue principale, tient une place importante dans l’œuvre. On peut alors penser, comme Paul Hoffmann, que la fiction du sérail a une fonction symboliqueet qu’elle est le reflet d’une autre critique de Montesquieu. En effet, Hoffmann affirme que « la fiction du sérail […] est une figure de la condition de la femme dans la société. » Il explique, que paradoxalement, le sérail, créé dans le but avoué « de les forcer à la chasteté » entraîne les femmes à « voir dans le plaisir la forme unique de leur liberté ». Et il finit par établir une comparaisonentre les femmes orientales et occidentales, les qualifiant toutes deux d’assujetties, et conclut que les Lettres Persanes enseignent aux femmes « le devoir de l’insubordination ». Aussi, on peut s’interroger sur la pertinence des ces remarques en se demandant si la fiction du sérail offre réellement une image de la condition de la femme et dans quelle mesure elle pousse la femme occidentale àl’insubordination. Il faut pour cela étudier d’abord la figure du sérail oriental et les pouvoirs qui s’y affrontent. Puis, après cette vision de la femme orientale, on peut tenter d’établir un lien avec la femme occidentale et étudier l’image donnée de la condition féminine, pour finalement voir de quelle manière l’insubordination est conseillée à la femme.

Le sérail apparaît très vite dans lesLettres persanes et il y revient souvent. C’est le lieu où sont gardées les nombreuses femmes d’Usbek. Il apparaît bien en premier lieu, comment un lieu de servitude. Les femmes y sont considérées comme des esclaves, dédiés au plaisir de leur maître. Elles lui doivent obéissance, comme il leur rappelle à de nombreuses reprises et ne sont là que pour son plaisir. Dés le plus jeune age, les femmespersanes sont mises à l’écart, comme nous l’apprend Zélis, l’une des femmes d’Usbek, dans la lettre LXII, où elle explique à son époux qu’elle a décidé d’isoler leur fille qui n’a que sept ans. Elle nous dit que les femmes doivent être consacrées au sérail. La femme n’a donc aucune liberté, à aucun moment de sa vie, son enfance est très courte. Quand elle n’entre pas dans le monde du sérail dés sonplus jeune age, elle est achetée. On peut voir dans les lettres LXXIX et XCVI, le grand eunuque noir faire l’achat de deux femmes destinées à des sérails. Ce n’est donc même pas le maître du sérail qui choisit ses femmes. Elle apparaissent bien comme de simples objets, toutes semblables, aux personnalités cadenassées (voir lettre LXIII).
Ces femmes si enchaînées ressentent alors toutnaturellement un besoin de liberté, qu’elles ne peuvent assouvir que dans le désir, et la tentation d’aller trouver leur plaisir ailleurs. Elles n’ont pas le droit d’avoir du plaisir avec d’autres personnes que leur époux, que ce soit entre elles, avec leur servante (voir lettre IV), ou avec les eunuques. Il n’est même pas utile de préciser qu’il est hors de question d’en avoir avec un autre homme. Leplaisir apparaît en tout cas comme une préoccupation majeure des femmes du sérail. Mais ce plaisir reste dépendant de leur époux, qu’elles doivent se partager. Toutes ces frustrations et interdictions amènent logiquement la femme à trouver sa seule liberté dans le désir, qui ne peut être limité par le maître et la recherche du plaisir ailleurs est une conséquence directe de leur enfermement. Commel’avouera Roxane dans la dernière lettre : « J’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la nature, et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance. » Ainsi si leur corps est enchaîné, leur esprit garde sa liberté.
Toutefois, le désir n’est pas leur seule liberté. Les femmes ont un certain pouvoir dans le sérail. D’abord sur les eunuques, qu’elles commandent pour la…