Le principe d’intangibilité

Le régime juridique de l’ouvrage public

Le principe d’intangibilité

« C’est une triste chose de penser que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas » (Victor Hugo) ou plutôt, comme en l’espèce, le juge administratif. L’affaire jugée par le tribunal administratif de Caen le 20 janvier 2004 était pourtant une belle occasion de statuer une bonne fois pour toute surl’interdiction de la construction de cales d’accès en béton sur nos rivages. Malheureusement le principe d’intangibilité de l’ouvrage public est tenace et ce n’est pas ce jugement qui arrêtera les « bétonneurs », qu’il soit publics ou privés, de notre magnifique littoral.

Une communauté de communes avait décidé de construire une cale d’accès à la mer en béton sur enrochements sans permis de construireet contraire au plan d’occupation des sols sur le domaine maritime qui lui a été concédé.
Outrée, l’association Manche-Nature avait saisi le tribunal correctionnel de Coutances afin de condamner le président de la communauté de communes et maire de l’une d’entre elles et d’obtenir réparation. Elle obtint satisfaction, le président ayant été condamné. Mécontent, ce dernier et le MinistèrePublic ont fait appel de ce jugement. Entre temps, le préfet saisit d’un doute sur la légalité de cette installation, avait sollicité l’avis du tribunal administratif sur ce projet. Ce dernier considéra qu’il ne s’agissait pas d’une construction, et donc qu’un permis de construire n’était pas nécessaire. Méconnaissant cet avis, la cour d’appel de Caen confirma le jugement de première instance encondamnant le défendeur pour construction sans permis de construire, violation du POS et violation de l’obligation de préservation des espaces remarquables du littoral. L’association décida alors de saisir la juridiction administrative pour faire réparer son préjudice.

L’unique question posée aux juges est donc celle de la réparation du préjudice subi par l’association. Les requérants, eneffet, demandent une réparation en nature : la remise en état des lieux qui ne peut se faire que par la démolition de l’ouvrage illégalement implanté, ainsi qu’une réparation en espèces.

Mais avant de se pencher sur ces deux réparations, se pose une question fondamentale : le juge administratif est-il « lié par la condamnation pénale antérieurement prononcée » par le juge pénal ? L’affairea été renvoyée au tribunal de Caen seulement pour que le juge administratif statue sur la réparation du préjudice car il est le seul juge pouvant condamner l’administration à démolir l’ouvrage et à verser une indemnité. Or si le juge administratif n’est pas lié, il pourrait rejuger l’affaire et déclarer l’ouvrage légal. Ce qui, en plus de créer un déni de justice, empêcherait l’association dedemander la démolition de l’ouvrage ainsi qu’une indemnisation pour le préjudice subi puisque pour la juridiction administrative il y en aurait aucun.
Cette question ne devrait pas pourtant poser de réel problème. En effet, d’après la jurisprudence du Conseil d’Etat, le juge administratif est lié par la qualification juridique des faits du juge pénal dans le cas où celui-ci constate que ladécision administrative sert de fondement à une infraction pénale (CE, 3 janvier 1975, SCI foncières Cannes-Benefiat) car si toute faute ne constitue pas une illégalité, toute illégalité est fautive. Toutefois en l’espèce, le tribunal administratif avait déjà statué l’ouvrage en question et avait décidé que « les cales, passages aménagés pour permettre l’accès des véhicules à l’estran, n’apparaissentpas comme des constructions au sens de l’article L 421-1 du Code de l’urbanisme ». Pour lui la cale n’était pas une construction, elle ne nécessitait pas de permis de construire et était donc un aménagement léger c’est-à-dire conforme au plan d’occupation des sols et à la loi sur la préservation du littoral. Cet avis n’avait pourtant pas été pris en compte par la cour d’appel de Caen…