Oral de français
Document complémentaire
L’empoisonnement de Britannicus (en lien avec la lecture analytique n°3)
Tacite, Annales, livre 13
Tacite (en latin Publius Cornelius Tacitus) est un historien romain né en 55 et mort vers 120 ap. J.-C.
XV. Néron, alarmé de ces fureurs, et voyant Britannicus près d’achever sa quatorzième année, rappelait tour à tour à son esprit et les emportements de sa mère, etle caractère du jeune homme, que venait de révéler un indice léger, sans doute, mais qui avait vivement intéressé en sa faveur. Pendant les fêtes de Saturne, les deux frères jouaient avec des jeunes gens de leur âge, et, dans un de ces jeux, on tirait au sort la royauté ; elle échut à Néron. Celui-ci, après avoir fait aux autres des commandements dont ils pouvaient s’acquitter sans rougir, ordonneà Britannicus de se lever, de s’avancer et de chanter quelque chose. Il comptait faire rire aux dépens d’un enfant étranger aux réunions les plus sobres, et plus encore aux orgies de l’ivresse. Britannicus, sans se déconcerter, chanta des vers dont le sens rappelait qu’il avait été précipité du rang suprême et du trône paternel. On s’attendrit, et l’émotion fut d’autant plus visible que la nuit etla licence avaient banni la feinte. Néron comprit cette censure, et sa haine redoubla. Agrippine par ses menaces en hâta les effets. Nul crime dont on pût accuser Britannicus, et Néron n’osait publiquement commander le meurtre d’un frère : il résolut de frapper en secret, et fit préparer du poison. L’agent qu’il choisit fut Julius Pollio, tribun d’une cohorte prétorienne, qui avait sous sa gardeLocuste, condamnée pour empoisonnement, et fameuse par beaucoup de forfaits. Dès longtemps on avait eu soin de ne placer auprès de Britannicus que des hommes pour qui rien ne fût sacré : un premier breuvage lui fut donné par ses gouverneurs, trop faible, soit qu’on l’eût mitigé, pour qu’il ne tuât pas sur-le-champ. Néron, qui ne pouvait souffrir cette lenteur dans le crime, menace le tribun,ordonne le supplice de l’empoisonneuse, se plaignant, que, pour prévenir de vaines rumeurs et se ménager une apologie, ils retardaient sa sécurité. Ils lui promirent alors un venin qui tuerait aussi vite que le fer : il fut distillé auprès de la chambre du prince, et composé de poisons d’une violence éprouvée.
XVI. C’était l’usage que les fils des princes mangeassent assis avec les autres nobles deleur âge, sous les yeux de leurs parents, à une table séparée et plus frugale. Britannicus était à l’une de ces tables. Comme il ne mangeait ou ne buvait rien qui n’eût été goûté par un esclave de confiance, et qu’on ne voulait ni manquer à cette coutume, ni déceler le crime par deux morts à la fois, voici la ruse qu’on imagina. Un breuvage encore innocent, et goûté par l’esclave, fut servi àBritannicus ; mais la liqueur était trop chaude, et il ne put la boire. Avec l’eau dont on la rafraîchit, on y versa le poison, qui circula si rapidement dans ses veines qu’il lui ravit en même temps la parole et la vie. Tout se trouble autour de lui : les moins prudents s’enfuient ; ceux dont la vue pénètre plus avant demeurent immobiles, les yeux attachés sur Néron. Le prince, toujours penché sur sonlit et feignant de ne rien savoir, dit que c’était un événement ordinaire, causé par l’épilepsie dont Britannicus était attaqué depuis l’enfance ; que peu à peu la vue et le sentiment lui reviendraient. Pour Agrippine, elle composait inutilement son visage : la frayeur et le trouble de son âme éclatèrent si visiblement qu’on la jugea aussi étrangère à ce crime que l’était Octavie, soeur deBritannicus : et en effet, elle voyait dans cette mort la chute de son dernier appui et l’exemple du parricide. Octavie aussi, dans un âge si jeune, avait appris à cacher sa douleur, sa tendresse, tous les mouvements de son âme. Ainsi, après un moment de silence, la gaieté du festin recommença.
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