Le temps de la pensée

« Le temps de la pensée », éditorial publié Norbert N. Ouendji dans Le Messager du 4 mai 2006 :
Tout se passe comme si l’Afrique, enfoncée dans le présent et étranglée par les impératifs de la survie, n’avait plus guère le temps de penser. Pis, on dirait que ses intellectuels – artistes, chercheurs, universitaires, romanciers, hommes et femmes de culture – n’ont rien à se dire, encore moins à direau monde. Du reste, comment nier le fait que les intellectuels africains éprouvent d’énormes difficultés à dialoguer entre eux ? Très souvent, la liberté intellectuelle faisant défaut et, les structures et institutions destinées à accueillir la pensée n’existant presque pas, ils ont plus de chances de s’exprimer à l’étranger que dans leurs propres pays.
Pourtant, la nécessité d’une pensée neuveet critique sur les transformations en cours sur le continent n’a jamais été aussi impérieuse qu’en ces temps de crise et de blocage. Celle-ci, heureusement, est déjà en cours, fragile il est vrai, mais pleine de promesses également. Souvent, elle surgit de lieux souterrains, et est le fait d’acteurs sociaux inattendus. Force est cependant de reconnaître qu’elle est encore le fait d’individualitéstrop isolées pour « faire masse ». Cette pensée en gestation est elle-même, à bien des égards, encore trop éclatée et trop éparse pour faire « mouvement ».
Le Messager se propose de combler ce déficit à travers L’Entretien du mois, un supplément mensuel inédit, qui renforcera la place que votre journal accorde aux débats d’idées. Sorte d’agora ouverte à tous ceux qui ont des choses utiles à dire,cet espace donnera l’occasion aux uns et aux autres d’aller à la rencontre des sujets d’intérêt général et des personnalités disposées à les aider à mieux comprendre le monde d’aujourd’hui et de demain. Ce nouveau chantier a précisément pour objectif de donner voix et visibilité à ce qui se fait de plus novateur dans le domaine de la pensée critique en Afrique même si pour des raisons évidentes,l’actualité nationale pourrait nous amener à observer et à envisager les choses autrement.
L’idée est de convier des intellectuels, créateurs, romanciers, artistes, travailleurs de l’esprit et producteurs de culture, autour d’un format original, la conversation-interview. On s’en tiendra parfois à des interviews classiques, en sollicitant l’éclairage des hommes et femmes d’ici ou d’ailleurs sur lesquestions préoccupantes de l’heure. Autrement dit, L’Entretien du mois est dédié à des figures qui font autorité et dont le rayonnement, la pertinence du propos ou la hauteur du ton invite à la lecture et à la réflexion. Il s’agit de privilégier des interlocuteurs qui, par leur capacité d’analyse et leurs idées, peuvent apporter une contribution significative au développement, au changement desmentalités et à l’épanouissement intellectuel des jeunes.
La première interview du genre, essentiellement réalisée grâce au courrier électronique entre mars et avril 2006, est conduite par Achille Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université du Witwatersrand, (Johannesburg, Afrique du Sud) et à l’université de Californie à Irvine (Usa). L’invité de cette grande plume, quenos lecteurs connaissent comme auteur de la Chronique du mardi, est Célestin Monga, Lead economist et conseiller du premier vice-président de la Banque mondiale (Washington, D.C., Usa). Célestin Monga s’exprime ici à titre strictement personnel. Ses déclarations n’engagent donc, en aucun cas, la Banque mondiale.
L’entretien qui suit est frappant aussi bien par sa densité et sa profondeur que parson élégance et sa courtoisie. Il couvre des domaines aussi variés que le statut et les acteurs de la critique sociale dans l’Afrique actuelle, les formes et la portée des dissidences culturelles, les conditions de l’émancipation africaine aujourd’hui, la créativité musicale et artistique, les langages de la transformation politique et les questions liées à la famille, à la sexualité et à…