Anna o
En septembre 1882, Breuer fait part à Freud d’observations tout à fait inattendues qu’il avait tiré d’une cure inédite, celle d’une jeune fille hystérique traitée pendant deux ans et qui, selon lui, l’avait quittée à peu près guérie. Ce cas nous est aujourd’hui connu sous le nom d’Anna O. La méthode de Breuer était une méthode empirique créée par le déroulement imprévisible de la cure et par lacollaboration active de la malade, jeune fille extrêmement intelligente.
Anna O avait consulté Breuer pour une toux nerveuse très pénible mais elle souffrait de troubles spectaculaires et variés, troubles sans aucune cause organique et tous apparus après la mort de son père : paralysie de trois membres avec contracture et insensibilité, troubles compliqués de la vue et du langage (elle avait perdul’usage de sa langue maternelle, l’allemand, mais parlait couramment l’anglais). Elle était susceptible de deux états de conscience distincts, l’un durant lequel elle était normale, l’autre où elle prenait le comportement d’une enfant insupportable et dissipée. La transition entre les deux états se faisait par une sorte d’auto hypnose dont elle se réveillait parfaitement lucide avec des moyensintellectuels intacts. Elle fut aussi atteinte d’une hydrophobie (incapacité de boire) momentanée : il faisait très chaud cet été là, sa soif était dévorante mais chaque fois qu’elle voulait boire elle était sujette à un moment d’absence qui l’empêchait d’aller se désaltérer.
Breuer avait remarqué qu’Anna murmurait certaines paroles durant ses moments d’absence. Il les lui répéta sous hypnose. Lamalade raconta alors des rêveries, récits un peu tristes qui parlaient de ses veilles au chevet de son père, après quoi elle fut délivrée de ses symptômes qui, néanmoins, réapparurent ensuite.
Lorsque, sous hypnose, la malade se rappela avec extériorisation affective à quelle occasion ses symptômes s’étaient produits pour la première fois, les symptômes disparurent. Ce résultat était obtenu par lapremière forme de méthode psychanalytique à laquelle Freud et Breuer donnèrent le nom de catharsis (en grec, purgation de l’âme ; le terme est emprunté à Aristote).
Prenons un exemple pour mieux comprendre la méthode, celui de l’hydrophobie d’Anna O. Sous hypnose, Anna se plaint de sa gouvernante anglaise qu’elle n’aimait pas. Elle raconte alors, avec tous les signes d’un profond dégoût, qu’elles’était rendue dans la chambre de cette gouvernante et que le petit chien de celle-ci (elle précise « un animal affreux ») avait bu dans un verre. Elle n’avait rien dit, par politesse. À la fin de son récit, Anna manifeste violemment sa colère restée contenue jusqu’alors. Elle demande ensuite à boire, boit une grande quantité d’eau et se réveille de l’hypnose le verre aux lèvres. Son hydrophobie adisparu pour toujours.
Que peut-on déduire de cette histoire ? Si Anna O. ne buvait pas, c’est que sa colère n’a pas éclaté au moment de l’événement, par politesse. Ce qui la bloquait, c’est que la charge affective ne s’était pas déclarée. Dès lors le souvenir du petit chien n’est pas oubliable, car il a été l’occasion d’un conflit non résolu. Quand sous hypnose elle manifeste enfin sa colère, leconflit entre la colère ressentie et les exigences de la politesse est résolu. Le souvenir tombe vraiment dans l’oubli c’est à dire qu’il ne se manifeste plus à la conscience sous forme d’hydrophobie. Il peut disparaître définitivement sans chercher à revenir.
Dans l’inconscient, tout se conserve et rien ne se perd. La colère refoulée n’en est pas moins là : si elle fait apparaîtrel’hydrophobie, c’est qu’elle n’a pas disparue. Les symptômes viennent de ce que le malade n’a pas su exprimer normalement une émotion. Le traitement reste sans effet s’il n’est pas accompagné de ces émotions que Freud nomme affects. Les expériences émotives, causes de symptômes sont destraumatismes psychiques. Les traumatismes sont déterminés par des scènes (telles que celle du petit chien) dont ils sont les…