Arumentation
Argumentation : la misère du monde — En 1993, au moment le plus fort où la « crise sociale » produit chômage et exclusion, le sociologue Pierre Bourdieu publie un imposant ouvrage de factureinhabituelle. Une équipe de vingt-trois sociologues a procédé à de longs entretiens avec tout un kaléidoscope social de personnages : travailleurs immigrés, habitants de Zup, couple de clochards ou de petitsagriculteurs, policiers, infirmières, étudiants…
Cette enquête collective est destinée à mettre au jour l’expérience du monde social, que peuvent avoir, chacun à leur manière, tous ceux quioccupent «une position inférieure et obscure à l’intérieur d’un univers prestigieux et privilégié »…
La misère sociale que P. Bourdieu veut décrire, n’est pas forcément (ou pas seulement) une « misèrede condition » , liée à l’insuffisance de ressources et à la pauvreté matérielle. Il s’agit ici plutôt de dévoiler une forme plus moderne de misère, une « misère de position », dans laquelle lesaspirations légitimes de tout individu au bonheur et à l’épanouissement personnel, se heurtent sans cesse à des contraintes et des lois qui lui échappent : cette violence cachée qui est produite à travers« les verdicts du marché scolaire », « les contraintes impitoyables du marché du travail ou du logement », « les agressions insidieuses de la vie professionnelle »…
Par la méthode du récit de vie,qui consiste, par le dialogue avec l’enquêteur, à faire émerger « une vision du monde éprouvée par celui qui l’exprime », La Misère du monde donne la parole à ceux qui la vivent : c’est au travers delongs récits déroulant une apparente banalité du quotidien, que surgissent tout à coup des paroles émouvantes, non-dénuées d’une fonction cathartique.
Mais pourquoi une telle entreprise ? Selon P.Bourdieu, « Porter à la conscience des mécanismes qui rendent la vie douloureuse, voire invivable, ce n’est pas les neutraliser ; porter au jour les contradictions, ce n’est pas les résoudre….