Bérénice
Sujet : « L’amour de Titus et Bérénice trouve son accomplissement dans son abnégation même; il y a ici une sorte de rédemption de la nature. Titus et Bérénice se séparent vaincus et triomphants, amants transfigurés. C’est Antiochus qui dit : “Hélas!” » (R. Picard)
Vous illustrerez votre compréhension de ce jugement en vous appuyant avec précision sur le texte.
Racine voulaitque Bérénice soit une pièce « avec cette simplicité d’action qui avait été si fort au goût des Anciens » (Préface). Pourtant, l’auteur arrive à créer une tragédie dont la psychologie des personnages est encore étudiée de nos jours, à partir de cette « simplicité ». Ainsi, l’action peut-être interprétée de différentes manières. La vision de Picard contient pourtant plusieurs paradoxes (« accomplissement »s’oppose par définition à « abnégation » d’un amour, tout comme les adjectifs « vaincus » et « triomphants »), qui méritent d’être envisagés et expliqués. Nous verrons en quoi cette définition s’ajuste à l’œuvre, et quels points peuvent être revus. La mort définie une tragédie classique. Pourtant, elle est absente de la pièce. Nous verrons ce point.
L’accomplissement de l’amour de Titus etBérénice trouve effectivement son accomplissement dans leur séparation (« Je l’aime, je le fuis; Titus m’aime, il me quitte » v. 1500). Une fois que Bérénice est convaincue que Titus l’aime (Acte V), elle accepte de séparer de lui, par amour (« Par un dernier effort couronner tout le reste [leur amour] : / Je vivrais, je suivrais vos ordres absolus. » v. 1493/1494). La cause de cette séparation vient deTitus. Il sacrifie son amour privé pour le règne (« Je sens que sans vous je ne saurais vivre, / […] / Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner. » v. 1100/1102) et la gloire, comme rappelle Bérénice (« Hé bien régnez, cruel ; contentez votre gloire » v1103).
Les amants sont vaincus par le devoir de Titus, celui de régner, et ainsi d’assurer sa mémoire. Titus fait le choix d’accomplir cedevoir bien avant le lever du rideau. Titus souligne que ce devoir est pénible et désagréable à ses yeux (« (…) pressé par les lois d’un austère devoir » v.1365). La raison d’Etat triomphe, comme le laisse supposer Phénice dans l’Acte I (« Rome vous voit, Madame, avec des yeux jaloux ; / La rigueur de ses lois m’épouvante pour vous : / L’hymen chez les Romains n’admet qu’une Romaine; / Rome haittous les rois, et Bérénice est une reine. » v. 293 à 296). Ce « jaloux », au vers 292 évoque une confrontation amoureuse entre la Cité et la reine. C’est la Cité qui triomphe, choisie par Titus. La fatalité semble aussi jouer un rôle : bien que l’apparition du « hélas » soit assez rare et ponctuée, l’interjection clôt tout de même la pièce, dans la bouche d’Antiochus.
Leur transfigurationn’intervient qu’à la chute, lorsqu’une situation stable prend place. En effet, Titus, qui était militaire et amant de Bérénice, devient empereur. Bérénice, elle, reste reine, mais seule.
Cependant, l’accomplissement de cette union, qui dure cinq ans, n’apporte rien qu’une douloureuse séparation, et reste relatif. En effet, Titus et Bérénice ne se marient pas, et n’ont pas d’enfants. Ces derniersne seraient de toute manière pas reconnus par Rome, comme l’explique Paulin à Titus dans l’Acte II (« Rome (…) ne reconnaît point les fruit illégitimes / Qui naissent d’un hymen contraire à ses maximes. » v. 377-379 / 380). Ainsi, après cinq ans d’amour, Titus et Bérénice se séparent sans aucun achèvement concret.
Les amants triomphent de leurs propres passions, contre eux-mêmes. Titusl’explique dans l’Acte V, scène 7 (« (…) je dois encore moins vous dire / Que je suis prêt pour vous d’abandonner l’empire, / De vous suivre et d’aller, trop content de mes fers, / Soupirer avec vous au bout de l’univers. v. 1399 à 1402). Le « dois » du vers 1399 envoie à l’idée de devoir et de nécessité. Bérénice, en effet, qualifie son amour de « véritable » (v. 1490), et pourtant décide de le fuir…