Crise financiere de 2007

LIQUIDITÉ, INCERTITUDE ET CRISE

Christian Gollier
Professeur, Toulouse School of Economics
Les prêts hypothécaires dits « subprimes » représentent un peu moins de 1 000 milliards de dollars d’encours aux États-Unis. Une bonne partie correspond à des prêts contractés avant 2005 dont on peut raisonnablement penser qu’ils seront entièrement remboursés. Parce que l’on peut aussi raisonnablementpenser que le marché immobilier américain va corriger d’environ 20 % la bulle qu’il a connue suite à la politique de taux faible de la Federal Reserve (Fed) depuis 2001, on estime communément la perte directe liée à la crise des « subprimes » pour l’ensemble du monde financier autour de 300 milliards de dollars, perte qui devra être épongée par le secteur dans les quelques prochaines années. Pourcomparaison, cette perte est dans le même ordre de grandeur qu’une chute du marché américain des actions de 1 %, ce que les banques et les assureurs épongent de façon routinière sur une base journalière.
Dès lors, comment ce grain de sable a-t-il pu générer une telle crise de liquidité, impliquant une impressionnante fuite vers la qualité, accroissant les risques de récession aux États-Unis, etgonflant les spreads de taux sur les différents niveaux de notation à des degrés très inattendus ? L’intermédiation bancaire est sujette à deux types de crise de nature très différente : la crise de liquidité et la crise de solvabilité. Parce que ces 300 milliards de perte ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des 7 000 milliards d’actifs des banques commerciales américaines, il est difficiled’imaginer que nous soyons confrontés à une crise de solvabilité, en tout cas au niveau macroéconomique. Nous sommes donc bien confrontés à une crise de liquidité.
La liquidité dans une économie est la capacité qu’ont les agents à transformer facilement des cash-flows futurs plus ou moins incertains en cashs immédiats. Acheter une maison à crédit procède de cette logique où un ménage reçoit un prêten échange d’un remboursement échelonné dans le temps. Une entreprise qui finance un investissement en émettant de nouvelles actions, des obligations, ou en empruntant, agit de la même façon. Comme il est rare que le flux de revenus corresponde au flux de dépenses au niveau de chacun des agents économiques, la garantie de cette liquidité est un élément quasi vital du fonctionnement de noséconomies.
Dans un monde aux marchés fonctionnant parfaitement, il n’y aurait aucune raison de s’inquiéter de la liquidité. Le premier théorème du bien-être s’applique aussi au secteur financier : dès lors qu’un agent dispose d’un projet dont la valeur actualisée nette est positive, il trouvera d’autres agents disposés à financer ce projet en échange d’un droit sur les cash-flows qu’il génère.

Crise deliquidité

Dans la réalité, d’importants problèmes d’agence existent qui contredisent les hypothèses du théorème cité supra, rendant ses conclusions caduques, créant sources d’inefficacité et de crise. Ces problèmes sont magistralement exposés dans Tirole (2006) qui a reçu le dernier prix Risques-Les Échos. L’emprunteur peut par exemple disposer d’informations privilégiées sur le risque inhérentaux cash-flows futurs, ce qui va inciter les prêteurs potentiels à la prudence. Par ailleurs, certains projets peuvent nécessiter des appels de fonds supplémentaires pour faire face à une crise de liquidité, sans que cette crise ne remette en cause la profitabilité de long terme du projet. Considérons par exemple un projet dont le coût est de 10 en t = 0, qui rapporte 25 en t = 2, et supposonsque le taux d’intérêt soit nul. En t = 1, il y a une probabilité ? qu’une dépense supplémentaire de 10 soit nécessaire pour poursuivre le projet. Si ce « choc de liquidité » n’est pas couvert par un financement complémentaire équivalent, le projet doit être abandonné. Ce projet est socialement désirable puisque sa valeur présente espérée nette est positive. En t = 0, l’entrepreneur dispose de 8…