Discours rapporte
E41SLL91 L’ENTREE ENONCIATIVE : LE DISCOURS RAPPORTE ET L’ORCHESTRATION DES VOIX DANS LE ROMAN
1. L’énonciation et le phénomène du discours rapporté.
Le discours rapporté peut constituer un des axes fondamentaux de l’étude stylistique de nombreux textes narratifs ou dialogaux. Dans la littérature contemporaine, le discours rapporté est la dimension la plus visible de toutes lesexpérimentations connues sous le nom de plurivocalité ou de polyphonie. Avant de poser les différences essentielles entre les diverses formes de discours rapporté (2 ), et de voir en quoi consiste l’orchestration des voix par le discours rapporté (3), quelques rappels sur l’énonciation et le phénomène général du discours (1). 1° Producteur vs récepteur : il convient d’abord de rappeler que l’énonciation estl’acte de produire un ensemble de signes linguistiques constituant un tout de signification, à savoir l’énoncé, qui est le produit, le résultat de cet acte. Dans les circonstances ordinaires de la vie courante, l’acte d’énonciation implique deux partenaires que l’on désigne de diverses manières, à la fois selon les différentes théories linguistiques, mais aussi pour avoir des synonymes : – l’un, qu’onappelle génériquement le producteur (ou encore l’émetteur ou l’énonciateur) mais aussi, pour différencier les situations, locuteur à l’oral et auteur ou scripteur à l’écrit ; – l’autre, qu’on appelle génériquement le récepteur (ou encore le destinataire ou l’énonciataire) mais aussi, pour différencier les situations, interlocuteur (ou allocutaire) à l’oral ou lecteur à l’écrit. Pour aller àl’essentiel de ce qui nous occupe, nous laissons de côté, dans ce qui va suivre, les différents aspects du récepteur, car cela nous entraînerait trop loin. 2° Producteur vs narrateur dans les récits : si, donc, nous nous restreignons maintenant au problème du producteur, vous savez bien sûr, –mais il est important de bien l’avoir présent à l’esprit pour la suite de la démonstration–, que les genresnarratifs fictionnels, principalement la nouvelle et le roman, introduisent un premier décalage ou relais énonciatif, qu’on appelle narrateur ou instance narratrice ou instance narrante, qui est la voix qui assume un récit fictionnel et qui n’est jamais totalement identifiable avec l’auteur. Je vous rappelle rapidement que ce décalage est parfois explicite quand le récit est narré à la premièrepersonne et si le je en question ne porte pas le même nom que l’auteur indiqué en couverture : Meursault, L’Etranger, n’est pas Albert Camus. Le décalage peut être implicite mais évident lorsque, dans certaines nouvelles de Maupassant par exemple, il y a changement de sexe, le récit étant conduit par une narratrice. Il est en revanche très souvent masqué, mais tout aussi effectif, dans les récitsnon-personnels, c’est-à-dire conduits à la troisième personne : pour en prendre un exemple caricatural et célèbre, M. Balzac qui, comme homme réel dans la vie réelle, était franchement conservateur, fait souvent prendre aux narrateurs de ses romans des positions politiques ou morales tout à fait contestataires, alors que tel ou tel personnage imaginaire tient des discours beaucoup plus proches desidées personnelles de l’auteur. Dans quelques cas très particuliers, on parle d’« intrusions » ou d’« interventions de l’auteur », mais cela reste discutable et il vaut mieux parler de réduction de la distance entre l’auteur et le narrateur. 3° Énoncé enchâssant vs discours rapporté : dans la vie comme dans les romans et dans tous les autres genres écrits, il arrive très fréquemment que le narrateur oul’énonciateur rapporte, reprenne ou commente les mots d’un autre locuteur. La tradition regroupe l’ensemble de ces phénomènes sous l’étiquette du discours rapporté, mais on les englobe souvent aujourd’hui, à la suite du grand sémioticien russe Mikhaïl Bakhtine, sous le nom de dialogisme, que Bakhtine présente ainsi dans Esthétique et théorie du roman : « la parole est l’un des principaux…