Dissertation duff
Duff
Edmond de Bovis était un officier de marine de 26 ans quand il arriva à Tahiti en 1844 sur le « Phaéton ». Il dressa l’hydrographie de Tahiti, épousa la fille d’un négociant de San Francisco et rentra en France en 1854. Son séjour lui permit de parcourir la Polynésie et de rencontrer des chefs et des prêtres des cultes traditionnels, d’où l’intérêt de son témoignage.
La reine Oberea et lecapitaine Wallis, 1767
De Bovis commence par identifier les habitants de l’archipel comme faisant partie d’un même peuple qui s’étend de la Nouvelle-Zélande aux Îles Sandwich (les îles Hawaï) : les Maori. Que l’on qualifiait généralement d’Indiens ou de Canaques. Il s’étend sur la question du nombre d’habitants. Quand les Français dénombrèrent 7000 Tahitiens à l’établissement du Protectorat(1842) ils jugèrent avec ironie les estimations élevées établies par Cook (70 à 80 000 habitants à Tahiti). Bovis, lui, tranche pour une dépopulation continuelle en insistant le premier —comme le font les historiens actuels— sur le rôle majeur des épidémies dans l’effondrement démographique de la Polynésie entière. Les autres facteurs endogènes et exogènes viennent après la responsabilité de lavariole. Les guerres ont cessé en 1815 quand Pomaré II s’est imposé aux autres chefs (bataille de Feipi) et a établi sa monarchie avec l’appui des missionnaires protestants venus de Londres en 1797. Les infanticides ont continué jusqu’à ce que le Code Pomaré soit promulgué en 1819. Les sacrifices humains ont cessé avec la conversion de Pomaré II. Les ravages de l’alcoolisme sont également soulignés.Autre force de cet auteur, il décrit la société tahitienne sans se référer aux ouvrages publiés avant 1855. Il montre une société hiérarchisée : des princes (les Arii), des nobles propriétaires fonciers (Raatira) s’élèvent au dessus d’une foule de prolétaires (Manahune). Il insiste sur le lien entre les familles princières et les principaux temples ou marae où le culte est dirigé par ungrand-prêtre et des récitants, les Orero, en présence du prince, mais en l’absence des femmes, tenues à distance de l’enceinte sacrée. C’est aussi là que se faisait le sacre du roi.
Autour des rois, les guerriers les plus braves forment une sorte d’association, les Arioi. Ils se cooptent et refusent d’avoir des enfants. Les Tahitiens croyaient en de nombreux dieux et « à une âme à peu prèsimmortelle » (sic). Au sommet du panthéon local, Taaroa (le temps) et sa femme Hina (la terre), et leur aîné Oro est le souverain du monde. C’est à lui que sont consacrés presque tous les marae répertoriés à Tahiti, Moorea, Bora Bora, et Raiatea. Mais les Tahitiens craignaient surtout les revenants, les tupapau, qui s’en prennent aux individus isolés, la nuit. Ne pas confondre avec le tapu (tabou) lequelest décidé par le roi : il concerne aussi bien un objet qui sera préservé du vol, qu’une personne qui servira de victime humaine. La cérémonie est augurale ou propitiatoire. Les cadavres étaient hissés aux arbres du marae et y attendaient la décomposition.
James Cook invité à assister à un sacrifice humain par les chefs d’Atehuru
Dessin de J. Webber
De ces marae il ne reste déjà plus autemps d’Edmond de Bovis que les soubassements en pierre. Les grandes idoles ou tiki sont en bois (d’aito ou bois de fer), elles sont roulées dans des étoffes précieuses et surmontées de plumes d’oiseaux rares. Les gens ordinaires avaient des tiki de taille assez modeste pour mettre dans la poche.
Danse tahitienne, 1784
L’auteur évoque par contre avec une certaine gêne la liberté des mœurs desinsulaires, insistant sur la débauche : « la corruption des femmes et des jeunes filles même était grossière, et la seule différence qu’elle présente avec celle dont nous avons le spectacle aujourd’hui, c’est qu’elle n’était pas ordinairement vénale.» Mais il « tempère » son jugement en ajoutant que « les régions intertropicales semblent plus particulièrement favorables à ces cancers de l’humanité…