Dogmes
Réflexions sur l’article « Dogmes » du Portatif
Sylvain Menant Université Paris-Sorbonne (Paris IV)- CNRS Cellf 17e18e ,UMR 8599
On partira de quelques observations sur le texte de l’article « Dolgmes » du portatif pour aller vers une mise en perspective de cet article dans l’ensemble du recueil et dans l’ensemble de la pensée de Voltaire, marquée par une relation complexe à l’altérité. Il nefaut pas perdre de vue que les articles du Portatif ne sont pas des textes indépendants, même s’il sont sans doute pour la plupart été composés indépendamment les une des autres, et non d’affilée. « Dogmes » constitue un des ajouts de 1765. J. M. Moureaux qui a édité ce texte dans la savante édition des Oeuvres Complètes publiées à Oxford ( 1994, volume dirigé par Ch. Mervaud) se demande pourquoile texte ne figure pas déjà en 1764 dans la première édition du Portatif , puisque la critique interne permet de conjecturer qu’il était écrit dès 1763. On peut proposer un réponse à cette intéressante question : c’est que Voltaire a soigné les effets de composition dans le volume de 1764, et prend des précautions pour ne pas froisser un public à la fois sceptique et respectueux de l’ordreétabli. Les attaques se radicalisent dès 1765, après le succès qu’a connu la première édition, car Voltaire s’adresse maintenant à un public plus large avec lequel il faut être moins elliptique. Dans l’édition Varberg de 1765, l’enchaînement se fait avec l’article Dieu, qui lui est présent dès 1764. Cet article se termine par une mise en garde amusante contre les disputes métaphysiques. L’article «Dogmes » apparaît alors comme une radicalisation dramatisée de cette attitude : les dogmes, désignés par leur nom théologique, sont qualifiés en conclusion d’ « idées creuses », et cette condamnation est préparée dans l’esprit du lecteur par une série de mises en scène expressives. Le Portatif est l’œuvre d’un vieil écrivain : Voltaire a soixante-dix ans en 1764, et il écrit depuis beaucoup plus d’undemi-siècle. Il a acquis une immense culture, celle d’un lecteur infatigable et curieux, à la fois familier des écrits du passé et de l’actualité littéraire. Tous les textes du Portatif fourmillent donc de renvois à des savoirs divers, et aussi d’échos de ses oeuvres antérieures. Il y a un matériau voltairien, sans cesse repris et réutilisé, que les lecteurs du temps reconnaissent comme tel, etutilisent pour attribuer au patriarche des oeuvres anonymes comme le Portatif. Il faut donc aujourd’hui lire le texte avec un arrière-plan formé des lectures de Voltaire et de ses autres œuvres. Les références, ici, renvoient , du côté des sources, au Coran et aux Hadiths, ces commentaires ou compléments du Coran, à la légende dorée, aux historiens latins, à Brantôme, à Bayle, à Calvin, àl’Encyclopédie, mais aussi, dans l’œuvre de Voltaire lui-même, à La Pucelle, La Philosophie de l’Histoire ou à l’Essai sur les mœurs. Toutefois, ce qui n’a pas été signalé jusqu’ici, la source essentiel qui fournit son inspiration et son mouvement au texte est l’Apocalypse de Jean, visions prophétiques des chapitres 4 et 7. L’apôtre Jean, un des premiers disciples de Jésus, envoie aux premières communautéschrétiennes d’Asie le récit d’une vision qu’il a eue dans l’île de Patmos. C’est un texte familier non seulement à Voltaire, lecteur assidu quoique critique de la Bible au moins depuis Cirey, mais aussi à ses lecteurs qui fréquentaient inévitablement les églises, où des passages du texte de Jean étaient lus, comme aujourd’hui, au moins une fois dans l’année. Le texte de l’Apocalypse fournit au texte deVoltaire son ton exalté, le cadre d’une vision, la présence de trônes, celle d’une foule immense rassemblant l’humanité. Il s’agit dans les deux textes d’un tableau du jugement dernier, de la fin de l’Histoire. Les éléments bibliques sont repris ici dans une intention satirique évidente, mais aussi pour donner une sorte de solennité au jugement que l’écrivain va porter sur les peuples et…