Droti des sociétés

Éditorial. EIRL, de la fausse bonne idée, à la vraie calamité François-Xavier Lucas
Le Sénat ayant adopté le 8 avril le projet de loi sur l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), une commission mixte paritaire est annoncée pour la fin du mois en vue d’arrêter un texte qui puisse être applicable dès le 1er janvier 2011. Ce nouveau dispositif a été salué par un concert delouanges, M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des PME, le présentant comme une réponse « à une demande historique des artisans et des commerçants », qui marque « la fin de ces situations tragiques de petits entrepreneurs qui, après un coup dur, se voyaient ruinés financièrement, et souvent psychologiquement et humainement ». Le passage de l’ombre à la lumière en quelque sorte… Disons-le tout net,nous ne partageons pas cet enthousiasme pour une loi inutile qui n’améliorera guère la situation de ceux qu’elle vise à protéger mais qui reste entourée de telles zones d’ombre que ces objets juridiquement non identifiés que sont ces EIRL vont constituer un vrai danger pour leurs utilisateurs et leurs partenaires au cours des années à venir.
L’inutilité de cette loi n’est pas le reproche le plusgrave que l’on puisse lui adresser. Nos recueils sont pleins de ces textes qui n’ont été adoptés que pour épater la galerie et faire accroire à quelque corporation que l’on se préoccupe de ses intérêts. Tel est le cas en l’espèce puisqu’il s’agit de complaire aux entrepreneurs en leur laissant espérer qu’ils pourront désormais « entreprendre sans risque ». Pourtant qui peut croire à ce slogan ? Ladéception risque d’être aussi grande que l’espoir suscité chez ceux qui s’y seront fiés car ce n’est que dans une certaine mesure – délicate à apprécier – que le patrimoine affecté à l’activité professionnelle de l’entrepreneur sera séparé de son patrimoine personnel. Cette séparation ne sera pas étanche puisque les créanciers professionnels pourront poursuivre le recouvrement de leur créance surle patrimoine personnel en cas de surévaluation des actifs affectés, de fraude, de méconnaissance des règles gouvernant l’affectation, de désordres comptables ou encore « d’inobservation grave et répétée des prescriptions de la législation de la sécurité sociale ». Sans compter la possibilité de faire renoncer l’entrepreneur au bénéfice de l’affectation, dont on devine qu’elle permettra auxcréanciers d’anéantir la protection dans les moments mêmes où elle présentera la plus grande utilité pour le débiteur aux abois. Le nouveau dispositif se révèle donc affligé des mêmes défauts que ceux qui ont conduit à faire le procès d’une EURL à laquelle on reproche l’insuffisance de la protection assurée à un associé unique qui reste menacé par les sûretés personnelles qu’il a consenties ou laresponsabilité civile qu’il peut encourir lorsqu’il a commis des fautes de gestion. La même porosité existant entre le patrimoine affecté et le patrimoine personnel, on voit qu’en définitive le législateur apporte à la question de savoir comment protéger le patrimoine de l’entrepreneur, une réponse qui ne varie qu’au regard de la technique juridique utilisée (le patrimoine d’affectation étant préféré àla création d’une personne morale) mais qui ne sera ni plus simple – car la constitution d’un patrimoine affecté suppose des formalités et des contraintes qui n’ont rien à envier à celles que nécessite la création d’une société – ni plus efficace puisque le risque demeure.
Si l’on peut s’amuser de ce bégaiement du législateur qui, à intervalles réguliers, croit devoir répondre à des questionsqu’on ne lui pose plus, on peut aussi s’inquiéter de ce symptôme de sénilité. Car ce clone de l’EURL qu’est l’EIRL n’est pas seulement inutile, il est aussi dangereux tant il recèle d’incertitudes dès que, au-delà du slogan, on se penche sur la technique juridique. Il est facile de se gausser des passéistes attachés au principe d’unité et d’unicité du patrimoine. Cela l’est moins de bâtir sur les…