Économie

Deuxième partie — Les applications de la leçon
Chapitre VI — Le crédit fait dévier la production

Il faut parfois redouter tout autant « l’aide » que l’État peut apporter aux affaires que l’hostilité qu’il peut leur montrer. Cette prétendue aide se présente soit sous la forme d’un prêt direct, soit sous celle d’une garantie d’intérêts aux emprunts privés.

La question des prêtsgouvernementaux peut se compliquer souvent, car ils impliquent une possibilité d’inflation.

Remettons à un chapitre ultérieur l’analyse des effets de l’inflation de toutes formes.

Pour l’instant simplifions et supposons que le crédit dont nous nous occupons n’est pas cause d’inflation. Celle-ci, nous le verrons, tout en compliquant l’analyse, ne modifie en rien, au fond, les conséquences des directiveséconomiques étudiées ici.

Les crédits de ce genre le plus souvent demandés au Congrès sont ceux qu’on destine aux agriculteurs. D’après les membres du Congrès, les agriculteurs n’ont jamais assez de crédit. Celui que les banques privées, ou les compagnies d’assurances, ou les banques de province leur font avoir n’est jamais « adapté » à leurs besoins. Le Congrès s’aperçoit sans cesse que certainsmanques ne sont pas comblés, et que les établissements publics de crédit qu’ils ont suscités ne sont pas assez nombreux, quel que soit déjà le nombre de ceux qu’il a créés. Les agriculteurs disposent peut-être d’assez de crédits à long terme ou à court terme, mais, dit-on alors, ils n’ont pas assez de crédit à « moyen » terme, ou bien l’intérêt en est trop élevé, ou bien encore on se plaint queles crédits privés ne soient accordés qu’à des fermiers riches et prospères. Si bien que les propositions de loi tendant à autoriser l’ouverture de nouveaux établissements de crédit ou l’exposé de formules nouvelles de prêt s’empilent les unes sur les autres tout au long de la législature.

La confiance que l’on apporte à cette politique du crédit, on va le voir, repose sur deux raisonnements debien courte vue. L’un consiste à ne considérer la question que du point de vue de l’agriculteur qui emprunte, l’autre à ne penser qu’à la première partie de l’opération.

Tout crédit, aux yeux d’un emprunteur honnête, doit éventuellement être remboursé. Car le crédit est une dette. Demander davantage de crédit n’est pas autre chose que demander à augmenter le volume de ses dettes. Et si l’onemployait couramment ce dernier terme plutôt que le premier, tout cela serait beaucoup moins attrayant.

Nous ne discuterons pas ici des emprunts courants que les fermiers ont l’habitude de faire à des sources privées. Ce sont des hypothèques, des achats à tempérament d’automobiles, glacières, radios, tracteurs et machines agricoles. Nous ne nous occuperons pas davantage des demandes aux banquesqui sont nécessaires à la vie de la ferme, en attendant que le cultivateur ait pu faire la moisson, vendre son grain et retirer son bénéfice. Nous ne traitons ici que du crédit fait aux fermiers, soit directement par les caisses de l’État, soit de celui garanti par lui.

Ces prêts sont de deux types principaux. L’un permet au fermier de garder sa récolte hors du marché, c’est une espèce toutparticulièrement néfaste, mais il sera plus facile d’en discuter plus loin, quand nous arriverons à la question du contrôle économique. L’autre est un prêt de capitaux accordé bien souvent au fermier qui débute, afin de lui permettre d’acheter la ferme elle-même, ou un cheval, ou un tracteur, ou les trois à la fois.

Au premier abord ce prêt paraît vraiment d’excellente nature. Voici une famillepauvre, vous dit-on, sans aucun moyen d’existence. Il serait cruel et bien infructueux de mettre tous ses membres au bureau de bienfaisance. Achetez-leur une ferme, mettez-les au travail, faites-en des citoyens producteurs et dignes de considération. Ils ajouteront le produit de leur travail à la production nationale, et s’acquitteront de leur dette grâce à la vente de leurs récoltes. Ou bien voici…