Economie
La crise irlandaise,
Emblème et symbole de la finance dérégulée.
Benjamin CORIAT
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Décembre 2010
www.atterres.org
La crise irlandaise est exemplaire et doit retenir l’attention à plus d’un titre. D’abord parce que c’est la crise d’une économie qui a longtemps été montrée comme « modèle » par les grands promoteurs de la libéralisation à travers le monde. LeFMI, L’OCDE, et plus près de nous l’Union Européenne n’ont cessé de chanter les vertus du « modèle » irlandais. La preuve des bienfaits de la libéralisation (et surtout après que l’autre enfant chéri l’Argentine, ait volé en éclat au début des années 2000), c’est l’Irlande, nous répétaient les voix autorisées de toutes les grandes institutions internationales. Cette crise est aussi exemplaire parcequ’elle naît et se forme au cœur même du modèle : à savoir le système bancaire et financier que la libéralisation a promu à travers les déréglementations systématiques auxquelles on a assisté au cours des 30 dernières années. Cette crise est une nouvelle crise de la finance dérèglementée, elle en illustre jusqu’à l’excès tous les travers. Elle présente encore l’avantage d’illustrer de manièreéclatante l’idée que les déficits publics ne sont aujourd’hui nullement dus à l’impécuniosité des Etats, mais qu’ils sont aujourd’hui pour une part essentielle le produit direct de la situation qui résulte de l’installation d’une finance mondiale déréglementée. Dans le cas de l’Irlande, de manière non discutable, c’est la crise bancaire qui a provoqué la crise tout court, et la montée de déficitspublics. Cette crise illustre l’extrême injustice des plans de restructuration mis en place. La foudre s’abat sur le peuple irlandais, quand personne ne songe même à toucher aux immenses profits accumulés et distribués par les financiers irlandais tout au long des années fastes, à leurs actionnaires, managers et autres traders. Celles pendant lesquelles a été fabriquée une bulle fort lucrative sans sesoucier des conséquences au moment de l’explosion. Enfin, last but not least, la crise irlandaise montre une nouvelle fois les défauts de construction dans le type d’architecture monétaire et financière que le récent Traité Constitutionnel était supposé sanctifier pour des décennies. Mais commençons par le commencement. Comment un modèle donné comme exemplaire – ne parlait-on pas il y a peu encoredu « Tigre Celtique » –, s’est-il formé, puis comment et pourquoi a-t-il volé en éclats, provoquant sur son passage une onde de choc qui déstabilise l’Union Européenne dans ses fondements mêmes ?
Le modèle irlandais ou : les dessous du Tigre
Ce que l’on désigne sous le nom de modèle irlandais est une construction qui s’est progressivement mise en place et qui a connu au cours du tempscertaines évolutions1. Mais le point fixe en a vite été une politique d’attractivité, habilement construite sur les défaillances de la construction institutionnelle de l’Union Européenne. Celle-ci ne prévoyant nulle règle d’harmonisation fiscale, l’Irlande a tôt fait le choix de jouer la concurrence par le bas et de se nourrir du vide européen. En
1
Voir Renaud Lambert, « Les quatre vies du modèleIrlandais ». Le Monde Diplomatique, Octobre 2010. 1
fixant le taux d’imposition des entreprises à 12,5 % (contre 30 % en Allemagne, 34 % en France…), elle choisit de se positionner, au cœur de l’Union Européenne, comme un paradis fiscal, parfaitement légal, parfaitement respectueux des règles communautaires. Ce choix décisif, couplé à une politique de formation active et bien menée, va produireles effets attendus. De nombreuses entreprises, mais aussi et surtout de grandes multinationales, localiseront des succursales voire leur siège en Irlande, pour bénéficier de cette générosité. La comptabilité « créative », les jeux d’écriture entre filiales au sein de holdings feront le reste. Les profits rapatriés en Irlande échapperont aux pays où les activités qui les ont générés se sont…