Etude de cas – primelec
Les dimensions spatiale et culturelle de la marginalité
Une approche psychosociologique
LILIANE RlOUX
par un contexte de crise à la fois socio-économique et politico-culturelle, la marginalité est devenue depuis ces dernières années un thème à la mode, largement médiatisé. Mais les discours véhiculés par les médias ont, pour la plupart, un caractère réducteur, ne faisant que très rarementapparaître la double dimension – spatiale et culturelle – de la marginalité. De plus, qu’elle soit voulue ou subie, elle est trop souvent synonyme de rejet, voire d’exclusion, s’opposant à l’intégration sociale ou psychosociale. Parce qu’elle est le produit d’un mécanisme de discrimination, la marginalité renvoie ainsi à des représentations fortement connotées négativement. Pourtant, n’estelle pasle creuset de valeurs et d e normes spécifiques qui peuvent contribuer à I’évolution des valeurs et des normes de notre société ? L’objectif de cet artide est d’abord de présenter l’évolution du concept de marginalité dans les sciences sociales, avant de réfléchir à la pertinence d’une approche psychosociologique de la marginalité et des processus d e marginalisation.
B
ANALISÉEL’évolution du concept de marginalité
La marginalité, un concept transdisciplinaire La marginalité recouvre à la fois une position géographique et un état social. Etymologiquement, la marginalité s’inscrit dans le couple centre-périphérie. En tant que limite ou frontière, en tant que marche » ou zone, la marge se situe toujours à une certaine distance du centre. Cette distance peut être soit quantitativeet mesurable, soit qualitative et décrétable par rapport à un pôle ou un espace structurant ; elle intègre bien souvent les deux aspects. Mais la marginalité s’inscrit également dans le couple normalité-déviance puisqu’elle est aussi chargée de sens social. Ainsi, margrave et marquis sont situés au bas de l’échelle de titulature féodale, tout comme marge et margelle sont à la fois le bord et lerebord (d’un puits) évoquant une idée de chute voire de déchéance. La marginalité peut donc être définie de manière bimodale, en intégrant à la fois son signifiant spatial et son signifié culturel. «Le marginal est dans un état d’isolement relationnel (voulu ou non) qui génère une pratique spatiale spécifique qui contribue à son tour à l’écarter des processus d’interaction » (A. Bailly, 1986). Ceciexplique probablement l’attrait qu’a suscité cette
À Joël Bonnemaison, le Voyage inachevé.. .
notion dans diverses disciplines des Sciences humaines (géographie et sociologie notamment) mais également sa difficulté d’utilisation.
recherche se focalise plus particulièrement sur les individus et/ou les groupes marginaux. On y fait souvent appel aux concepts de personnalité modale ou depersonnalité de base. En fait, les sociologues ont souvent tenté d’expliquer les phénomènes de marginalité en s’appuyant sur les concepts de déviance ou de contrôle social. La marginalité ainsi définie : d’une part, est conçue par rapport à une norme, ce q u i n’est pas s a n s poser des problèmes d’ordre épistémologiques ; d’autre part, correspond à une situation percue négativement au niveau del’individu, d u groupe et de la société. Rejeter un individu ou un groupe à la marge, c’est aussi le percevoir comme potentiellement dangereux ; c’est, pour le groupe marginalisant, affirmer la légitimité de ses fonctions de régulation et d’intégration mais c’est également lui permettre d e s e reconnaître c o m m e normal » en faisant jouer au groupe ou à l’individu marginalisé une fonction derepoussoir ». Depuis une quinzaine d’années, certains sociologues tels que A. Touraine ont repris la thèse de E. Durkheim qui considérait la marginalité comme une innovation, une anticipation, un acheminement v m ce qui sera. » L margia nalité constitue également u n défi social suscitant un renouvellement et une adaptation des structures aux mutations des mentalités et des comportements. Elle est…