Hegel
COMMENTAIRE DU TEXTE DE HEGEL, Esthétique.
Texte commenté :
« Cette conscience de lui-même, l’homme l’acquiert de deux manières : théoriquement en prenant conscience de ce qu’il est intérieurement, de tous les mouvements de son âme, de toutes les nuances de ses sentiments, en cherchant à se représenter à lui-même, tel qu’il se découvre par la pensée, et à se reconnaître dans cettereprésentation qu’il offre à ses propres yeux. Mais l’homme est également engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît également le besoin de transformer ce monde, comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait pour encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir de lui-même comme d’uneréalité extérieure. On saisit déjà cette tendance dans les premières impulsions de l’enfant : il veut voir des choses dont il soit lui-même l’auteur, et s’il lance des pierres dans l’eau, c’est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son oeuvre dans laquelle il trouve comme un reflet de lui-même. Ceci s’observe dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses, jusqu’à cette sortede reproduction de soi-même qu’est une oeuvre d’art. »
HEGEL, Esthétique.
[Introduction]
Dans son Introduction à la lecture de Hegel, le philosophe, Alexandre Kojève, définit l’homme par la conscience de soi. « l’homme -écrit-il- est conscient de soi. (…) et c’est en ceci qu’il diffère essentiellement de l’animal ». Cependant, cette conscience de soi, propre à l’homme est-elle donnée,innée, immédiate ou bien est-elle acquise et à supposer qu’elle s’acquiert, comment s’acquiert-elle? Dans ce passage tiré de l’Esthétique, Hegel, philosophe allemand du XIXème siècle, développe la thèse selon laquelle la conscience de soi s’acquiert au terme d’un double mouvement d’introspection et de relations au monde extérieur. La conscience de soi n’est pas, pour Hegel, une donnée immédiate.Elle s’acquiert de deux façons ; d’une part « théoriquement », c’est à dire par un examen intérieur, une introspection (objet de la première partie du texte) ; d’autre part, « pratiquement », c’est-à-dire dans le rapport au monde extérieur : en le transformant, en y laissant son empreinte, l’homme s’y reconnaît comme dans un miroir (objet de la deuxième partie du texte). Nous nous proposonsd’examiner cette thèse en cherchant à déterminer l’importance du rapport pratique dans la prise de conscience de soi. Est-il aussi important, voire plus fondamental que le rapport théorique à soi ?
[DEVELOPPEMENT]
PRECISONS D’EMBLEE QUE LA CONSCIENCE DE SOI DONT IL S’AGIT ICI N’EST PAS TANT LA CONSCIENCE DE L’EXISTENCE QUE DE L’IDENTITE OU DE LA PERSONNALITE ENCORE APPELEE LE « MOI » OU LE « SOI». ELLE DESIGNE LA CONNAISSANCE (CONSCIENCE SIGNIFIANT ETYMOLOGIQUEMENT CUM SCIENTIA, C’EST-A-DIRE, AVEC SCIENCE OU CONNAISSANCE) PLUS OU MOINS CLAIRE QU’UN SUJET A DE LUI-MEME, DE SON INTERIORITE, DE SA PSYCHOLOGIE, DE SES ETATS D’AME.
Dès la première phrase qui constitue une brève introduction à cet extrait, l’essentiel de la thèse est posé : la conscience n’est pas une donnée immédiate,elle s’acquiert, et ceci de « deux manières ». La structure du texte est alors suggérée ; on s’attend à une double explicitation. Nous nous proposons d’examiner la première explication qu’en donne Hegel.
L’adverbe « théoriquement » qui trouve un écho dès la ligne suivante avec « intérieurement » désigne la première modalité d’acquisition de la conscience de soi-même. Il s’agit apparemment d’unesorte de mouvement introspectif, de réflexion solitaire, d’auto-analyse de la conscience par elle-même. Le sujet par ce mouvement qu’on appelle réflexion (du latin reflectere : revenir sur…, se retourner) opère un retour sur lui-même afin de contempler son intériorité, son âme conçue comme siège de l’identité. Ainsi la notion de théorie choisie par Hegel n’apparaît que plus claire. La théorie…