Histoire de l’album

Un regard appuyé à travers une vingtaine de productions françaises et étrangères, principalement publiées depuis la fin de la seconde guerre mondiale, va me permettre d’expliciter la logique de l’évolution « d’une production textuelle d’écrits d’auteurs à une production visuelle d’ouvrage mixtes ou essentiellement graphiques d’artistes, d’illustrateurs », où l’image n’est plus la simpletransposition visuelle du texte mais une interprétation créative de ces derniers.

De 1750 au début du 20ème siècle, la place de l’image dans le livre illustré est de plus en plus grande. Après l’évolution des couvertures, l’album connait sur le plan matériel une révolution de son architecture intérieure, les avancées technologiques des systèmes de reproduction ayant un impact immédiat sur lamatérialité du genre et le développement des images.
D’un point de vue iconographique, le renouveau issu des recherches parallèles d’éditeurs et illustrateurs est amorcé dès l’entre-deux guerres, sous l’influence de mouvements artistiques français et étrangers comme le cubisme, le constructivisme russe et le style Art-Déco. C’est dans cette mouvance qu’apparait Macao et Cosmage ou l’Expérience du bonheur,publié par la NFR en 1919, le premier album moderne au grand format carré qui invite l’enfant lecteur à regarder avant même de lire et symbolise ainsi le premier dont la narration se fait par l’image : « dans les pages qui vont suivre les couleurs, les moindres objets, les plus petits animaux ont une raison d’être ». Sa réédition chez Circonflexe en 2000, due à Michel Defourny, a permis, avec lesnouvelles technologies, de mettre en valeur toutes les nuances possibles des images.
Le terme d’« album » utilisé, qui est propre à la culture française, est sciemment employé pour se dissocier de celui de « livre illustré » et expliciter la relation étroite entre texte et image.

Dans son ouvrage Histoire de Babar, le petit éléphant, édité en 1931, Jean de Brunhoff fait passer la narration parle texte et l’image, qui n’ont pas de cadre propre leur étant réservé. La mise en page est donc au service du récit, par un enchainement entre la narration textuelle, sous forme d’écriture cursive, et celle iconique. Les deux voisinent sur chaque double page, par un rythme alternant trois double pages pour une page pleine.
C’est aussi l’année de la création par Paul Faucher de la collection des«Albums du Père Castor » chez Flammarion. Influencé par le mouvement d’éducation nouvelle ainsi que par le modèle éditorial et les artistes soviétiques, il publie des ouvrags souples, avec peu de pages, conçus pour être facilement manipulés
De nouveaux rapports texte/image se sont donc instaurés, pour engendrer une double activité créatrice, textuelle et iconique, cette dernière transcendant safonction première d’illustration d’un texte pour obtenir sa propre autonomie

Les années cinquante amorcent un tournant dans l’évolution de l’album, avec l’apparition de nombreuses maisons d’éditions associée à un renouveau créatif. C’est en effet à compter de cette époque que la relation entre les arts et l’album s’intensifie, pour ne plus s’arrêter.
Ce renouveau est en partie lié àl’influence du Push Pin Studio créé aux États-Unis en 1954 par Milton Glaser. En offrant toute la place aux illustrations, il permet l’expérimentation de nouvelles formes d’expressions qui recherchent l’émancipation de l’image.
La conception du livre pour les enfants s’est notamment transformée sous l’impulsion d’éditeurs tels que Robert Delpire, proche des milieux artistiques d’avant-garde. Il publie en1956 Les larmes du crocodile, d’André François, un classique du genre, atypique par sa matérialité, puisque l’album est inséré dans un emboitage imitant un colis postal. Refusé initialement par le distributeur Achille Weber, l’ouvrage sera édité en France une première fois à 5000 tirages puis à 10 000, en dépit de cette maquette compliquée et son emballage couteux, avant d’être vendu à…