La guerre et la révolution russe

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La vague révolutionnaire en Europe
En dépit de son apparent dynamisme, la Russie de 1914 est une puissance fragile en raison de son caractère multinational, des tensions sociales qui l’agitent, de ses faiblesses économiques et de l’autoritarisme du régime. La guerre aggrave ses problèmes et provoque, en février 1917, une révolution qui aboutit à l’abdication du tsar. Sur fond de rivalitéentre le Soviet de Petrograd et le gouvernement provisoire, Lénine, chef des bolcheviks, renverse ce dernier par une insurrection soigneusement organisée : c’est la révolution d’octobre 1917. Le nouveau pouvoir commence par prendre une série de réformes qui bouleversent la Russie. Mais, ayant à faire face à l’effondrement économique, à la guerre civile et à différentes oppositions, il déclenche uneimpitoyable terreur : le communisme de guerre. En même temps, fondant l’Internationale communiste, et s’appuyant sur le climat révolutionnaire qui règne en Europe, il s’efforce de déclencher une révolution mondiale. Cependant, le mouvement échoue partout, laissant isolée la Russie bolchevique. I La révolution russe de février 1917 1. La Russie, une puissance fragile En août 1914, la Russieapparaît aux yeux du monde comme une puissance de premier plan : peuplée de 170 millions d’habitants, elle peut en principe aligner 8 millions de soldats (c’est le «rouleau compresseur» dont se félicitent les Français) ; cinquième puissance économique du monde, elle s’industrialise à pas de géant ; après la secousse de 1905, son régime semble consolidé et la réalisation de l’Union sacrée en 1914 met unesourdine aux tensions politiques et sociales. La guerre fait voler en éclats cette façade et révèle que la Russie est un «colosse aux pieds d’argile». Ses 170 millions d’habitants comprennent environ 40 millions d’«allogènes» (Finlandais, Polonais, Baltes…) soumis à une intense russification et agités de courants séparatistes. Son industrialisation est encore fragile : elle dépend des capitaux etdes techniciens étrangers et se trouve limitée à des secteurs géographiques restreints (Petrograd, Moscou, Ukraine, Oural). La population ne comporte que 3 millions d’ouvriers à temps complet. Le monde rural demeure majoritaire (plus de 80 % de la population), ce qui permet de mesurer le retard par rapport à l’Occident. Le revenu national russe n’est que le tiers de celui des États-Unis. Lasociété russe est soumise à de nombreuses tensions. Les plus graves affectent le monde rural où le rapide accroissement démographique fait ressentir cruellement la « faim de terres ». Les campagnes russes sont agitées de fréquentes révoltes de la misère. De son côté, le monde ouvrier connaît des conditions de vie et de travail accablantes qui le conduisent à revendiquer des améliorations en multipliantles grèves et le rendent réceptif à la propagande révolutionnaire. Enfin, le développement économique de la Russie s’accompagne d’une croissance de la bourgeoisie qui aspire à un régime politique à l’occidentale où elle aurait un rôle à jouer. Or, après avoir dû accorder une Constitution pendant la révolution de 1905, le tsar Nicolas II est revenu à l’autocratie, décevant ainsi la bourgeoisieurbaine. Il ne laisse aucun pouvoir à la Douma. La formation d’une bourgeoisie rurale, rendue possible par les réformes de Stolypine en 1906-1910, renforce l’autorité du tsar qui s’appuie sur elle. « Une ère de contre-révolution est ouverte ; et elle durera quelque 20 ans, à moins que le tsarisme ne soit dans l’intervalle ébranlé par une guerre importante », déclare alors Lénine. 2. Le poids de laguerre La Première Guerre mondiale aggrave les facteurs de fragilité de la Russie. Les défaites précipitent la désagrégation du régime impérial. Les Allemands qui occupent les territoires occidentaux de la Russie, peuplés d’allogènes, y stimulent le sentiment nationaliste qui menace l’Empire d’éclatement. L’économie n’a pas supporté le choc de la guerre. Elle ne peut fournir à l’armée armes,…