La viajera

«Lors donc que vous créez des débouchés, vous allez guerroyer au bout du monde, lorsque vous faites tuer des milliers de Français pour ce résultat, vous allez directement contre votre but: autant d’hommes tués, autant de millions dépensés, autant de charges nouvelles pour le travail, autant de débouchés qui se ferment (…). Non, il n’y a pas de droit des nations dites supérieures contre lesnations inférieures. Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu’à mesure que nous nous élevons dans la civilisation nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne lacivilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie. (…) Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a été apportée ici et qui n’est autre chose que laproclamation de la puissance de la force sur le Droit. L’histoire de France depuis la Révolution est une vivante protestation contre cette unique prétention. C’est le génie même de la race française que d’avoir généralisé la théorie du droit et de la justice, d’avoir compris que le problème de la civilisation était d’éliminer la violence des rapports des hommes entre eux dans une même société et de tendreà éliminer la violence, pour un avenir que nous ne connaissons pas, des rapports des nations entre elles. […] Regardez l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! Voilà l’histoire de votre civilisation ! […] Combien de crimesatroces, effroyables ont été commis au nom de la justice et de la civilisation. Je ne dis rien des vices que l’Européen apporte avec lui : de l’alcool, de l’opium qu’il répand, qu’il impose s’il lui plaît. Et c’est un pareil système que vous essayez de justifier en France dans la patrie des droits de l’homme ! »
En réponse au discours de Jules Ferry, Georges Clemenceau se réfère dans cet extrait à laFrance en tant que patrie des droits de l’homme et de la nécessité de se référer au « génie […] de la race française »: il réfute l’idée d’une hiérarchie des races et remet en cause l’idée d’un devoir de civilisation de l’Europe vis-à-vis du reste du monde. Plus pragmatiquement il annonce le refus de son groupe parlementaire de voter les crédits demandés par Jules Ferry pour accentuer l’effortcolonial, et se place résolument dans l’opposition parlementaire

Synthèse d’Histoire contemporaine niveau Lycée sur le discours de Clémenceau prononcé devant la Chambre des Députés le 30 juillet 1885 à propos de la colonisation. Le texte étudié est également présenté.Extrait:Ce débat parlementaire a lieu à la fin du mois de Juillet 1885 durant une période de compétition accélérée entre lespuissances colonisatrices. Ce débat se situe donc au début de la colonisation.Clémenceau énonce ce discours peu de temps après que les grandes puissances se soient mises d’accord lors de la conférence de Berlin (1884-février 1885) (…)Sommaire:I) À quel moment de l’histoire de la colonisation se situe ce débat parlementaire ?II) Selon Georges Clémenceau, quels sont les arguments de Jules Ferry pourjustifier les expéditions coloniales ?III) Quelles sont les positions défendues ici par Georges Clémenceau ?IV) Comment peut-on qualifier les positions de Jules Ferry et de Georges Clémenceau ?

L’étude de ce texte s’inscrit dans la deuxième partie du programme d’histoire, colonisation et indépendance, plus précisément dans le premier thème, la colonisation européenne et le système colonial, qui…