L’assomoir, psychologie des addictions

Psychologie des addictions

Zola met au centre de ces œuvres les questions d’éducation et de milieu. « Les durs travaux jettent l’ouvrier dans l’alcool, puis l’ivrognerie des parents et les ordures de la vie en commun jettent l’ouvrière dans le vice » dit Zola.
Cette question de l’éducation, des filles notamment, et de l’influence déterminante du milieu est capitale pour le romancier. Ill’aborde depuis ses premières œuvres. Elle tient une place importante dans L’Assommoir qui en ce sens, prépare Nana. On comprend pourquoi : la femme joue un rôle essentiel dans la cohésion familiale, donc dans la cohésion sociale.

Zola étudie la condition ouvrière et l’alcoolisme, la vision du mal social, les dangers de l’alcoolisme, l’urgence des mesures à prendre pour éviter un cataclysme.Il en a tiré la manière dont les femmes essaient, souvent en vain, de soustraire la paie à la boisson.

Lorsque Gervaise va regarder l’alambic de l’Assommoir du Père Colombe, elle est « prise d’un frisson » et recule. Elle sent ici toute la menace que représente le fléau social qu’est l’alcool. En effet, le roman, dans son ensemble, marque comment les ouvriers sombrent dans l’alcoolisme, dansl’ivrognerie et la débauche. Il se construit dans chacun de ces chapitres autour de l’alcool, et Gervaise, spectatrice dans les neufs premiers chapitres, va participer aux beuveries de l’Assommoir à partir du chapitre 10. L’Assommoir et l’alcool la conduiront comme Bijard et comme Coupeau, à la folie et à la mort.

Gervaise est « obsédée d’un rêve d’ambition »[1]. Elle est animée de la mêmeaspiration que les autres membres de la famille. Mais elle n’est pas une Rougon, elle appartient à la branche bâtarde, alcoolique, des Macquart, et n’a pas comme sa sœur Lisa, charcutière dans Le Ventre de Paris, la force de la mener à bien.

Zola s’acharne sur Gervaise. Elle est doublement exploitée : comme femme – par son père, par son amant, par son mari – et comme ouvrière. Elle est accabléepar l’hérédité de sa famille. En elle circule le sang souillé de son grand-père, le braconnier Macquart, alcoolique et violent – il roue de coups sa maîtresse, Adelaïde Fouque – et celui de son père, Antoine, paresseux, lui aussi alcoolique. Sa mère, Fine, « une bête de somme », battue par son mari, s’est consolée dans l’anisette, elle en a fait boire à sa fille pour la fortifier. Gervaise estprédestinée au malheur et à la mort ; prédestination qui se manifeste dès sa conception, puisque c’est à cause de l’» assommage » de sa mère, qu’elle boite et a donc héréditairement, « le malheur de sa jambe ». Sa mère lui a raconté « les nuits où le père, rentrant soûl, se montrait d’une galanterie si brutale, qu’il lui cassait les membres ; et, sûrement, elle avait poussé une de ces nuits-là, avec sajambe en retard ». C’est là le récit de sa conception qu’elle fait à Coupeau, lors de leur première rencontre à l’Assommoir. C’est la marque du destin qui, à l’avance, condamne Gervaise.

Les autres personnages accompagnent le destin de Gervaise. Lantier s’oppose à Coupeau, qu’il manipule à son gré, le laissant s’enfoncer dans l’alcool et la paresse, l’y incitant même pour mieux profiter de lasituation. Coupeau entraîne Gervaise à chacune de ses chutes. Pour décrire les conséquences médicales de l’alcoolisme, Zola s’est informé dans l’étude du Docteur Valentin Magnan[2]. Il emprunte mots, images et phrases pour représenter les crises du delirium tremens de Coupeau.

Pour son roman ouvrier décrivant les ravages de l’alcoolisme, Zola choisit donc le quartier de la Goutte d’or àcause de sa première destination – la vigne – et de son nom qui génère une image forte : goutte d’or, sueur d’alcool que laisse couler l’alambic de cuivre du père Colombe.

L’assommoir, selon la définition de Denis Poulot, est « le distillateur, débitant de liquide, ainsi nommé à cause de l’excellence de ses produits qui vous assomment rapidement un individu », et selon Alfred Delvau, son nom…