Le bonheur

Pour les matérialistes du XVIII ème siècle, comme le baron d’Holbach, le bonheur est avant tout un plaisir
dont nous souhaitons la durée. Le bonheur se mesure à deux caractères : la longueur et l’intensité. Un bonheur
très bref est appelé plaisir. Entre plaisir et bonheur il n’y aurait qu’une différence de durée, pas de nature. Le
bonheur et le plaisir ne sont qu’une seule et même chose. Notrecorps ne supporte qu’une intensité limitée de
plaisir, au delà d’un certain seuil, il y a la douleur. Il doit y avoir une méthode pour user des plaisirs. Il devrait
donc y avoir un art de vivre dans l’usage du plaisir qui devrait nous donner le maximum de bonheur.
Pourtant est-il exact que le bonheur et le plaisir soit une seule et même chose ? Le plaisir est certainement
une motivation quel’on peut poursuivre, mais y a-t-il des recettes pour être heureux ? Les gens qui « ont tout
pour être heureux » ne le sont pas forcément et ce n’est pas obligatoirement une maladresse de leur part. Le bonheur
est-il de l’ordre d’une pratique? Le bonheur est-il un simple hasard ?
Le bonheur peut-il être le résultat d’une pratique ou d’un art de vivre ?

Partons du principe que plaisir etbonheur sont identiques pour examiner ce qui s’ensuit.
Cela ne nous éloigne pas du sens commun. Partons de l’hypothèse que le bonheur est seulement une somme de
plaisirs. Ce type d’hypothèse nous conduit droit au fil conducteur du libertinage. Si le bonheur consiste dans le
plaisir, pour trouver le bonheur il faut savoir trouver le plaisir, le saisir avec adresse et le conserver. Stendhal
nous ditque le plaisir le meilleur est court et vif. Une débauche sans règle engendre très vite le dégoût et l’ennui.
L’homme qui veut être « heureux » de cette manière, doit donc savoir user des plaisirs avec habileté, art et modération,
savoir par exemple repousser à temps un plaisir qui risque de virer à la peine. Le donjuanisme est cet
art du libertin qui consiste à jouer le jeu du plaisir, tantqu’il y a plaisir, puis à l’abandonner dès qu’il y a ennui
ou lassitude. Don Juan joue le jeu de la séduction, tant que le plaisir émoustille il est vif, s’il faiblit, aussitôt
Don Juan se tourne vers une nouvelle conquête. La séduction, c’est une façon de chasser le plaisir le plus vif. Vivre
en séducteur, c’est renouveler constamment le plaisir en vivant la vie comme un jeu. Le sérieux, ce seraitl’ennui, ce serait se gâcher le plaisir. L’important, c’est d’être joueur.
Curieusement, cette méthode implique qu’il ne faut pas pour autant se jeter tête baissée dans toutes
les sensations. L’homme qui se contente de se livrer à la première sensation venue est un lourdaud, pas un
artiste du plaisir, il est inculte. Il ne fait que subir, mais en cela il n’éprouve rien de vif, il perd la têteet c’est
tout. Selon Stendhal, à la différence, le libertin véritable est davantage perception, que sensation. L’homme
brut, l’homme sensuel sans culture du bonheur, tombe dans la sensation sans la saisir. Jouir c’est percevoir la
sensation elle-même, s’en emparer volontairement. Dans un premier temps on subit, on est troublé, puis dans
un second temps on trouve ce qu’il faut faire. La méthodedemande que l’on trouve un équilibre parfait entre
la vivacité troublante de la sensation et la rigueur un peu sèche de la volonté. Mais il ne s’agit surtout pas de
se laisser aller. L’important c’est d’être à tout moment un conquérant, un homme d’action, un séducteur en
quête d’une proie. Le plaisir vital que revendique le libertin consiste en action et non en passivité. Un tempérament
passifs’englue dans la sensation. Si le libertinage consiste justement à profiter du plaisir et que le libertin
se retrouve dans une période désertique, il endure un enfer. Il lui faudra immédiatement une sensation
pour s’occuper. N’importe quoi pour se distraire, pour éprouver quelque chose, pour dégeler la torpeur de
l’ennui par de la gaieté : faire la tournée des bars ou des boîtes de nuit,…