Le malade imaginaire, scène d’exposition

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Molière, Le malade imaginaire : Scène d’exposition I,1
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Le Malade imaginaire est la dernière comédie de Molière, comédie ballet donnée pour la première fois au Palais royal en 1673. La représentation s’ouvre donc par le ballet, dans un décorchampêtre où bergers, bergères et dieux mythologiques célèbrent la gloire de Louis XIV, de retour de la guerre de Hollande. Ce passage est caractérisé par les successions des entrées de ballet et par un grand nombre de personnages présents sur scène. Or, à l’issue de ce ballet débute la pièce cadre dans un contexte tout différent : « Argan, seul dans sa chambre, assis, une table devant lui, comptedes parties d’apothicaire » ; nous entrons alors dans le monde de la comédie de caractère et de ce bourgeois malade, Argan.
On peut remarquer deux mouvements dans ce passage
* Les comptes d’apothicaire ( « je le dirai à Mr Purgon, afin qu’il mette ordre à cela »)
* « Drelin », le passage de la clochette
Le premier mouvement semble viser les ridicules de la médecine, et le secondstigmatiser le caractère de l’hypocondriaque. Mais on s’aperçoit très vite que ces deux mouvements et ces deux objets du comique sont étroitement liés : le verbiage médical sert de caution à l’hypocondrie d’Argan.
Le premier mouvement apparaît d’abord comme une lecture fastidieuse de facture couplée avec les commentaires d’Argan ; mais l’insertion au discours rapporté direct du langage médical pompeuxnous donne d’emblée à entendre la cible de la satire : la grandiloquence de l’idiolecte de la médecine, qui se pare d’un verbiage pseudo scientifique mais se révèle impuissante à traiter le mal d’Argan.
Le deuxième mouvement met Argan au premier plan ; ce passage où il appelle en vain Toinette peut apparaître anodin et caractérisé uniquement par le comique qu’il dégage. Toutefois, nous ydécouvrons déjà le personnage d’Argan dans toute sa complexité à travers ses phobies, mises au jour dès la première scène.
Nous essaierons donc de voir au cours de notre étude en quoi cette première scène du Malade imaginaire remplit pleinement sa fonction d’exposition, en posant des jalons à même de nous introduire aux principaux enjeux de cette comédie de caractère, dans toute leur complexité.
Nousconsidérerons tout d’abord la fonction d’exposition de cette scène inaugurale. Puis, nous envisagerons la démultiplication spéculaire de la satire dans ce passage. Enfin, il nous restera à nous intéresser à la richesse et la complexité du personnage du malade imaginaire tel qu’il nous est présenté dans l’ouverture de la pièce cadre.

I. Fonction d’exposition de cette scène inaugurale

A.Première scène et dynamisme

L’entrée en scène se fait in medias res, comme l’indique la lecture de la facture par Argan : nous en sommes au 24° jour et Argan est absorbé par ses calculs, qu’il a déjà commencés avant le lever du rideau.
Le dynamisme de la scène est notamment permis par l’entrelacs de discours, la polyphonie par lesquels Argan exploite toute la richesse de possibilités dumonologue ; le monologue est alors un ressort dynamique et non une convention ou un pur artifice pour débuter la pièce (rappelons d’ailleurs que les monologues étaient relativement rares à l’ouverture des pièces de théâtre). On peut ainsi différencier :
* La lecture de la facture de l’apothicaire
* Son examen par Argan
* Les calculs d’Argan
Le tout conférant, grâce à une diversitédiscursive, un dynamisme certain à la scène.
De plus, la scène est rythmée par les comptes que fait Argan, et qui fonctionnent presque à la manière d’un refrain : « trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt ». Bien plus, pour le lecteur actuel, qui ne connaît plus les mêmes unités de monnaie, ces calculs revêtent une dimension presque poétique, voire surréaliste, car il n’y comprend…