Le roman
Étranger chez soi
Germaine Guèvremont est née dans une famille qui accordait beaucoup de place à la littérature. Après des études qui l’amènent jusqu’à Toronto, elle travaille au palais de justice de Saint-Scholastique. En 1916, elle rencontre Hyacinthe Guèvremont et l’épouse pour s’installer après à Sorel. Germaine Guèvremont devient journaliste au journal The Gazette, puis au courrier deSorel. Son œuvre, Marie-Didace, constitue une suite logique du Survenant, publié en 1945 : deux romans qui sont d’un grand apport à la littérature du terroir. Marie-Didace relate les relations familiales et extrafamiliales dans le chenal du Moine ainsi que la déception d’un patriarche face à l’incapacité de son fils à perpétuer la lignée des Beauchemin. L’Acayenne sera alors son espoir et saconsolation mais malheureusement, étant une survenante, elle essaie vainement de se trouver une place parmi les femmes du village qui ont tant d’appréhension à accepter une étrangère. L’Acayenne dégage beaucoup de force et de savoir-faire qui suscitent l’admiration (chez les hommes) et parfois la jalousie (bien sûr chez les femmes). Pourquoi ces sentiments contradictoires? Quelle image projette-t-elle?Est-elle l’incarnation du personnage le survenant? Par son physique et son attitude qui ressemblent beaucoup à ceux de ce personnage mythique, l’Acayenne se hisse au rang des protagonistes qui peuvent marquer tout un récit par leur présence et leur force. À l’opposé, la bru s’efface malgré ses efforts énormes. Elle ne pourra jamais occuper le même rang que la femme du patriarche qui «Quand elle rit,c’est ben simple, le meilleur des hommes renierait père et mère.» Aussi, à l’instar de l’Acayenne, Zarovitch, le colporteur juif qui se rend au Chenal-du-Moine pour commercer, est-il difficilement accepté à cause de son origine et de sa religion. Ainsi, le thème de l’étranger est véhiculé par ces deux personnages qui évoquent le survenant, ils partagent également la nostalgie d’un passé heureux,d’un passé qui les passionne et dont ils n’arrivent à se détacher. Malgré ses efforts à intégrer le groupe de femmes, l’Acayenne est perçue comme une étrangère et par conséquent, son mal de pays revient toujours dans ses méditations et ses réflexions. Quant à Zarovitch, il est étranger de par sa religion, son physique et la nature de son métier. Or, sa musique témoigne d’un sentiment nostalgiqueprofond qui a touché même les habitants du Chenal-du-Moine. Comment peut-on donc expliquer cette ambiguïté qui caractérise la relation entre ces étrangers et les habitants du village? Pourquoi leur présence est-elle à la fois souhaitée et non désirée? Combien de temps faudra-t-il pour qu’on puisse les considérer comme étant une partie de la communauté et quand cessera-t-on de les traiter de «l’Autre»?L’Acayenne, après son union avec Didace, est venue s’installer avec lui au Chenal du Moine, village où elle sera perçue comme étrangère, tout comme Zarovitch, un colporteur juif qui est connu des habitants mais dont la religion et l’origine sont un obstacle à son intégration au sein d’un milieu qui refuse tout ce qui est nouveau et se conforme aux usages et aux normes de son milieu.
En effet,depuis son arrivée à la maison des Beauchemin, l’Acayenne est sujet de discussion et parfois même de dispute. Phonsine, jusqu’à là seule maîtresse des lieux, se voit menacée dans son territoire par cette intruse qui l’envahit et perturbe ses habitudes en s’appropriant de ses objets les plus personnels comme la tasse à laquelle elle tenait énormément. Par ailleurs, l’Acayenne s’isole elle-même dugroupe des femmes et ne déploie aucun effort en vue de nouer des liens avec elles et au lieu de se défendre elle –même contre leurs attaques verbales, elle ne le fait pas et «laissa les langues aller leur train» (l.52). Cette métaphore traduit l’insouciance de Blanche envers le groupe et son rejet par ce dernier. L’abstention de prononcer un mot peut être par insouciance ou par mépris et cela…