Le sujet

Le sujet

1/ Souveraineté classique du sujet

? Dans le langage commun, le terme « sujet » est d’un usage très divers : il désigne indifféremment le sujet d’un énoncé grammatical, celui d’une discussion, voire d’un tableau, mais on évoque aussi les « sujets » d’un despote en opposant leur infériorité à sa toute puissance, et même le sujet d’un examen. Le recours à l’étymologie (le mot vient enfrançais du latin subjectum : ce qui est dessous) signale l’idée de quelque chose qui est toujours « dessous », l’équivalent d’un support ou d’une substance. Dans les textes philosophiques du Moyen Âge, le terme subjectum est déjà appliqué à n’importe quelle réalité, et pas seulement à l’être humain.
? La philosophie « moderne » (celle qui commence à la fin de la Renaissance) a progressivementspécialisé l’usage du mot, en l’opposant notamment à la notion d’objet (littéralement : ce qui est placé devant), et en y supposant l’existence d’une âme ou, de manière moins religieuse, d’une « subjectivité » caractérisant chaque individu.
? Etre sujet, c’est se considérer comme un être libre et responsable, capable de rendre compte, notamment par la connaissance, du monde et de soi-même. Le Cogitocartésien constitue sans doute la première affirmation forte d’une opposition de nature entre l’extériorité et un « je pense » présent en tout homme – dont l’existence est garantie par l’exercice de cette pensée, quelle qu’en soit la forme ou la validité.
? L’autonomie de ce sujet se confirme chez Kant, qui comprend le « Je » comme capacité d’unifier toutes les représentations, mais surtout comme ensembledes lois universelles a priori de la pensée (sujet pur ou « transcendantal »). En régentant la connaissance, le sujet constitue ainsi la seule version du monde accessible à l’homme. Face au sujet et en dehors de lui, il n’y a que des objets inertes, ou d’autres sujets qui ont avec lui des points de ressemblance, même si on ne peut les confondre.

2/ Ébranlement du sujet classique
? Cette maîtrisesupposée est mise en cause par un certain nombre de réflexions, qui tendent à montrer que le sujet est en fait soumis à des forces ou déterminations sur lesquelles il ne peut guère exercer de contrôle. Au lieu d’être posé comme principe ou origine (de la connaissance et du sens), le sujet devient le produit de plusieurs facteurs.

• Selon Marx, il est le produit de sa « classe » et des conditionssociales dans lesquelles il vit, s’il est vrai que « la conscience est d’abord un produit social et demeure telle, aussi longtemps que les hommes existent » (Idéologie allemande, 1845), ou encore que « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience » (Critique de l’économie politique, 1859). De ce point de vue,le sujet n’a donc que l’illusion de son autonomie : ce qu’il pense, ce qu’il sait, ce qu’il aime, sont en fait dépendants de sa situation sociale.

•Selon Nietzsche, le sujet conscient tel que l’affirme Descartes, n’est rien de plus que le résultat d’une habitude grammaticale : « Dire que s’il y a de la pensée, il doit y avoir quelque chose qui pense, ce n’est encore qu’une façon de formuler,propre à notre habitude grammaticale qui suppose à tout acte un sujet agissant… ici se construit un postulat logique ou métaphysique, au lieu de le constater simplement » (La Volonté de puissance, 1884-1886). Il en résulte que, bien que nos actes soient incontestablement « personnels, uniques, infiniment individuels », ce n’est pas en les rendant conscients que nous trouverons leur vérité : laconscience implique en effet l’intervention du langage, donc de concepts par définition collectifs, qui ne peuvent que banaliser le singulier. La subjectivité véritable est toujours ailleurs : dans l’effervescence de la vie, dans l’approbation de ce qui nous invite à nous dépasser en permanence.

•Freud montre l’existence de processus qui sont bien internes au sujet, mais qui ne parviennent pas à sa…