Lettre a la sultane sheraa

Le dix-huitième siècle est souvent défini comme le siècle du progrès, celui de la démocratisation des savoirs avec l’Encyclopédie et du développement des sciences, celui de la dénonciation des injustices, comme l’esclavage, ou du progrès social, avec l’avènement de la bourgeoisie dans un siècle qui se termine par la Révolution française. Mais derrière cette apparente liberté et modernité, il nefaut pas oublier que les ouvrages étaient soumis à la censure, comme l’a mis en valeur l’interdiction de l’Encyclopédie, que l’Inquisition, ses tortures et ses procès avaient toujours cours et que la liberté de pensée et de paroles se payait souvent chère, comme l’atteste le fait que deux de nos quatre auteurs du corpus, Voltaire et Sade, ont subi des peines de prison. Il est évident que face à unepossible répression les auteurs ont développé des armes telles que celles que fournissaient les paratextes, même s’il ne s’agit pas de leur fonction première et que ces textes liminaires étaient également l’occasion de brosser le portrait du lecteur idéal. I. Présenter, défendre et justifier son projet Avant d’être un moyen de se défendre contre la censure, les textes liminaires ont la fonctionessentielle de présenter les œuvres en tête desquelles elles figurent et de justifier le projet de l’auteur. Ainsi, elles permettent également de situer son œuvre dans un genre ou un mouvement littéraire et culturel mais doivent aussi susciter la curiosité du lecteur et lui donner envie de poursuivre sa lecture. Un des genres dans lesquels un texte liminaire peut avoir un rôle essentiel, car il estnécessaire de présenter son projet, ses enjeux et ses choix, est le genre autobiographique. En effet, l’auteur qui décide de faire le récit de sa vie se doit d’expliciter les raisons de ce récit. Montaigne affiche, par exemple, une volonté de faire son portrait à travers une œuvre qui lui survivra et qu’il destine à ses proches. Même s’il est évident que son projet dépasse ce simple cadre, ilchoisit néanmoins d’adopter une posture devant ses lecteurs marquée par la modestie. De même, Rousseau ressent le besoin d’expliquer pourquoi il écrit ses Confessions et profite du paratexte pour y affirmer sa sincérité. Cette question de la justification de l’entreprise autobiographique deviendra tellement centrale qu’elle aura tendance à s’inclure dans le récit même. Les auteurs du vingtième sièclechoisiront plutôt de réfléchir aux enjeux de l’autobiographie dans son développement même, ce que souligne, par exemple, l’absence de paratexte dans La Promesse de l’Aube de Romain Gary ou dans L’Âge d’homme de Leiris. De plus, des auteurs comme Marguerite Duras, dans Un barrage contre le Pacifique ou Georges Perec, dans W ou le souvenir d’enfance, choisiront de mêler fiction et autobiographie,ce qui suppose également un silence liminaire. C’est souvent dans les différents textes liminaires que figurent les manifestes et autres textes théoriques qui fondent des mouvements littéraires. Il est difficile d’élaborer une théorie d’un genre ou d’un mouvement au sein même d’une œuvre qui, souvent, repose sur une illusion romanesque. La préface est, par contre, un espace privilégié pour ce fairecar il permet de donner un cadre théorique à l’œuvre et invite le lecteur à la lire dans une certaine perspective ou comme un exemple, une mise en pratique d’une conception particulière de la littérature. On trouve, en effet, de véritables plaidoyers défendant le romantisme, en général, et le drame romantique, en particulier, dans les préfaces des pièces de Victor Hugo que sont Cromwell etHernani. De même, lorsque Maupassant écrit la Préface de Pierre et Jean, il le fait pour défendre sa liberté d’artiste et sa propre conception du roman. D’ailleurs, dans les préfaces qui nous occupent, les auteurs placent, en quelque sorte, les textes qui nous sont donnés à lire dans un genre puisque Montesquieu (« Les Persans qui écrivent ici étaient logés avec moi nous passions notre vie ensemble….