Lettre a mme de grignan

Lettre a mme de grignan ( En un mot ma fille, je ne vie que pour vous)

Voici un terrible jour, ma chère fille ; je vous avoue que je n’en puis plus. Je vous ai quittée dans un état qui augmente madouleur. Je songe à tous les pas que vous faites et à tous ceux que je fais, et combien il s’en faut qu’en marchant toujours de cette sorte, nous puissions jamais nous rencontrer. Mon coeur est enrepos quand il est auprès de vous; c’est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire. Ce qui s’est passé ce matin me donne une douleur sensible, et me fait un déchirement dont votre philosophiesait les raisons; je les ai senties et les sentirai longtemps. J’ai le coeur et l’imagination tout remplis de vous. Je n’y puis penser sans pleurer, et j’y pense toujours, de sorte que l’état où je suisn’est pas une chose soutenable; comme il est extrême, j’espère qu’il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je trouve que tout me manque, parce que vous me manquez. Mes yeuxqui vous ont tant rencontrée depuis quatorze mois ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passé rend celui-ci douloureux, jusqu’à ce que j’y sois un peu accoutumée. Mais ce ne sera jamaisassez pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser. Je ne dois pas espérer mieux de l’avenir que du passé. Je sais ce que votre absence m’a fait souffrir; je serai encore plus àplaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai point assez embrassée en partant ; qu’avais-je à ménager? Je ne vous ai point assezdit combien je suis contente de votre tendresse. Je ne vous ai point assez recommandée à M. de Grignan. Je ne l’ai point assez remercié de toutes
ses politesses et de toute l’amitié qu’il a pour moi.J’en attendrai les effets sur tous les chapitres; il y en a où il a plus d’intérêt que moi, quoique j’en sois plus touchée que lui. Je suis déjà dévorée de curiosité ; je n’espère de consolation que…