L’exigence de justice a-t-elle sa place dans les rapports économiques ?

Editions Hatier
© Hatier 1
1. La justice a naturellement sa place dans l’économie1
A. L’économie comme satisfaction des intérêts individuels
On peut définir l’économie comme ? la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les
fins et les moyens rares à usage alternatif ?, selon la formule de l’économiste L. Robbins dans son Essai sur la
nature et la significationde la science économique (1947). Ce faisant, l’auteur se situe dans la filiation des ?
néoclassiques ? ou ? marginalistes ?, qui développent à partir de la fin du XIXe siècle une économie sur le
modèle des sciences physiques, à la fois pure, abstraite et déductive. Dans cette perspective, l’économie est
comprise comme la science de la satisfaction des besoins individuels : elle permetl’affectation optimale (la
meilleure possible) des ressources disponibles aux différents usages possibles.
Ce faisant, l’économie appréhende l’homme comme ? homo economicus ?, c’est-à-dire strictement gouverné par
le principe de rationalité. Fondement majeur de la science économique, ce principe consiste à rechercher la
réalisation d’un objectif en utilisant au mieux les moyens dont on dispose. Articuléeautour de ce principe,
l’économie (c’est-à-dire à la fois la science économique et son objet) permet donc à l’homme, entendu comme ?
homo economicus ?, de satisfaire au mieux ses désirs. Dès lors, s’il est juste que chaque individu voit ses
désirs satisfaits, on comprend que les rapports économiques fassent naturellement place à la justice. Mais
ceux-ci ont ici un contenu encore bien abstrait: dans cette conception de l’économie, qui se veut à la fois
descriptive et normative, les hommes sont conçus tels des atomes gouvernés chacun par une même rationalité et
un même but.
B. L’économie comme garantie du bien-être collectif
Le lien entre économie et justice demande donc à être approfondi : l’économie ne fait pas seulement place à la
justice en satisfaisant au mieux les besoinsindividuels, elle est la seule forme de justice qui permette le bien-
être collectif. C’est précisément là le propos d’Adam Smith, économiste ? classique ? du XVIIIe siècle, quand il
développe la métaphore de la ? main invisible ? pour illustrer les bienfaits du libéralisme. De quoi s’agit-il ? Il
s’agit de dire qu’en poursuivant ses intérêts particuliers, chacun sert en fait au mieux les intérêtscollectifs. Les
rapports économiques, régis par la recherche égoïste par chacun de sa propre satisfaction, concourent au bien de
tous, comme si une ? main invisible ? les coordonnait. Dans la pratique, il s’agit de dire que le mécanisme des
prix à lui seul suffit à garantir le bien-être de la société.
Les rapports économiques font donc place à la justice à un double titre : ils permettent lasatisfaction de
chacun et garantissent le bien-être collectif.
Mais nous devons déjà noter le caractère bien abstrait de cette conception des rapports économiques :
– les rapports économiques sont ici identifiés au mécanisme des prix ; ce sont les seuls liens ou signaux entre
individus, sur eux repose toute la coordination des intérêts individuels ;
– cette approche élimine d’emblée toutedimension conflictuelle : la question de la coordination des intérêts
particuliers est résolue avant même d’être posée ;
– elle est fondamentalement anhistorique : les rapports économiques sont en quelque sorte conçus de façon
atemporelle, selon un modèle transcendant toute inscription historique. Ils seraient régis par leurs propres lois, à
l’image de la nature.
1. Les titres en gras servent àguider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
2. Les rapports économiques comme lieux de l’injustice
A. Les rapports économiques génèrent des injustices
Il semble donc nécessaire de se défaire de cette approche si l’on veut saisir l’inscription concrète de l’homme dans
les rapports économiques, en ne réduisant pas ceux-ci à un simple mécanisme de prix. Mais penser les…