L’homme à la caméra, une symphonie urbaine

L’Homme à la Caméra, une symphonie urbaine ?

1. Qu’est-ce qu’une « symphonie urbaine » ?
Une symphonie urbaine est un film, souvent documentaire, mais pas forcément complètement, centré sur la vie d’une ville, parfois sur un quartier représentatif. Le genre, dont le premier film serait New York 1911 du suédois Julius Jaenzon (1911), a fait florès dans les années 20, mais n’a pas disparupour autant avec l’avènement du parlant.
Voici quelques exemples des années 20
•Manhatta (Paul Strand & Charles Sheeler, 1921)
•Rien que les Heures (Paris – Alberto Cavalcanti, 1926)
•Moscou (Mikhail Kaufman & Ilya Kopalin, 1927)
•Berlin, Symphonie d’une grande Ville (Walter Ruttmann, 1927)
•Aujourd’hui ou 24 heures en 30 minutes (Paris – Jean Loeds et Boris Kaufman, 1928)
•À propos de Nice(Jean Vigo & Boris Kaufman, 1930)
et quelques réalisations plus récentes
•Nice Time (Un peu de bon temps ou Piccadilly la nuit) (Claude Goretta & Alain Tanner, 1957)
•Fellini Roma (Federico Fellini, 1972)
•Amsterdam, Global Village (Johan van der Keuken, 1996)
•À l’Ouest des Rails (Un ancien quartier industriel de Shenyang en Mandchourie – Wang Bing, 2003)

2. L’Homme à la Caméra, unesymphonie urbaine
Vertov a manifesté son désir de réaliser un documentaire appartenant au genre de la symphonie urbaine. Lorsque le film de René Clair Paris qui dort sort en URSS, il se plaint dans son journal de ce qu’on ne lui a pas permis de réaliser un Moscou qui dort. Ce n’est pas la partie science-fiction du film qui lui avait plu, mais le « documentaire » sur la ville endormie. Ce film qu’ilaurait souhaité réaliser est sans doute « En avant soviet ! (1926), […] une commande du soviet de Moscou[…]. Vertov conçoit d’abord un scénario de « symphonie urbaine » qui aurait pu s’intituler Vingt-quatre heures de la vie d’une capitale : Moscou. » (Bamchade Pourvali) Par ailleurs les deux frères de Vertov, Boris et Mikhail Kaufman, ont tous les deux tourné des films appartenant à ce genre.

Onretrouve dans le film de Vertov nombre de caractéristiques du genre de la symphonie urbaine :

a. Le quadrillage de l’espace de la ville.
La caméra, dans tous ces films, parcourt la ville dans son intégralité. C’est bien ce que souhaitait Vertov, qui compare, dans un document préparatoire au film, son opérateur au Cavalier de bronze de Pouchkine.

b. L’écoulement de la journée/le passage dutemps
Une des règles, ou sans doute plutôt une des caractéristiques de la symphonie urbaine, est qu’elle suit l’écoulement du temps, de la journée en général. Ainsi Berlin de Walter Ruttmann commence au petit matin, alors que le jour n’a pas commencé et que l’activité est nulle dans la ville endormie, pour se terminer la nuit, avec ses plaisirs, mais aussi ses travaux. Cela est tellementcaractéristique du genre que même un film comme Nice Time respecte cela, même si c’est dans le sens inverse : de la nuit tombée au petit matin blême. Même Fellini s’en souvient dans un film aussi baroque que Roma : il s’achève sur une ronde de motards, moteurs hurlants et phares éblouissants dans la ville endormie. C’est bien le cas chez Vertov, dont le film commence, après le prologue, au petit matin,et s’achève par la séance de loisirs qui suit la journée de travail.

c. Un rapport particulier avec le Berlin de Ruttmann
Les points communs entre les deux films sont nombreux. « Des plans réapparaissent d’un film à l’autre comme l’arrivée du train, l’agent de circulation, les secrétaires tapant à la machine, la réunion dans la brasserie » (Bamchade Pourvali). Les deux cinéastes utilisentégalement l’animation, Ruttmann en pré-générique, Vertov tout au long du film. D’une manière générale, les deux cinéastes eurent une forte influence l’un sur l’autre. « Si Eisenstein fait figure de contrepoids à Dziga Vertov en URSS, Walter Ruttmann est le cinéaste à qui il fut le plus souvent comparé à l’étranger. Les deux hommes ont plusieurs points communs. Ils pratiquent l’un comme l’autre le…