L’homme et le besoin d’art

L’homme a-t-il besoin de l’art ?

A quoi sert la poésie ? Malherbe disait des poètes qu’ils n’étaient pas plus utiles au pays qu’un joueur de quilles et Platon raconte que Socrate, dans le cachot où il attendait la mort, jouait de la flûte. Un disciple s’en étonnait : « Pourquoi, Socrate, joues-tu de la flûte avant de mourir ? » Le vieux sage lui répondit : « je joues de la flûte avant demourir pour jouer de la flûte avant de mourir.» L’interrogation porte ici sur la place de l’art : répondre à un besoin de l’homme. Le terme besoin désigne en premier lieu un besoin biologique. Dans cette acception du terme besoin, l’homme n’a pas besoin de l’art puisqu’il peut vivre sans. Si l’homme ne peut pas vivre sans boire, sans manger, sans assouvir ses besoins naturels primaires, il n’a pasbesoin de l’art pour vivre. L’art est un fait culturel, non naturel. Tout le problème est alors de savoir si, bien qu’artificiel, l’art n’est pas aussi essentiel à l’homme que boire et se nourrir, si ce superflu n’est pas, comme le disait Voltaire, « chose bien nécessaire ». L’homme a des besoins naturels à combler pour vivre, n’a-t-il pas aussi besoin d’une raison de vivre ? L’art pourrait luiprocurer cette raison de vivre. Mais l’art n’a-t-il pas aussi des aspects moins fondamentaux comme tout simplement de divertir l’homme ? Il permettrait alors de nous échapper d’une réalité qui nous angoisse. Si le seul but de l’homme est de combler ses besoins naturels et rien que ces besoins, qu’est-ce qui le différencie de l’animal ? Tout l’enjeu est de savoir quelle est le rôle de l’art dans notrerapport au monde, et dans quelle mesure imprègne-t-il nos manières de voir, de penser et d’agir. En conséquence de quoi, il s’agira, comme le fait Platon dans la République, de déterminer la place que nous entendons lui accorder dans notre vie et notre société. Ainsi nous verrons que parce que l’art n’est qu’un luxe : divertissement, échappatoire, moyen de s’évader pour d’autres, l’art estquelquefois un agrément, jamais une nécessité vitale. Toutefois, l’homme a besoin d’art parce qu’il a besoin de tout ce qui dépasse l’existence brute et immédiate et qui fait de lui un animal métaphysique.
L’homme n’a pas besoin d’art, il a besoin d’un logement pour abriter sa famille et d’un salaire décent pour pouvoir la nourrir. Ensuite seulement il peut partir en quête de l’agrément que donnel’art. L’art n’est donc pas utile pour vivre. Ce qui est utile vise à satisfaire un besoin vitale. De même que pour l’animal, boire, manger, dormir, respirer sont indispensables à la vie. A la différence de l’animal, l’homme est doué de raison et de langage. Ceci lui permet de développer des techniques, produire ce que la nature ne produit pas, améliorer sa condition de vie. Il possède la capacitéd’ajouter du plaisir à ce qu’il produit, mais la fin est toujours matérielle : améliorer son bien-être. On peut donc vivre en se contentant de la satisfaction des besoins physiologiques naturels ou des nécessités économiques.
L’art n’est que luxe et divertissement. Platon le faisait remarquer en disant de l’art qu’il n’est que mensonge et tromperie, l’artiste étant un illusionniste qui éloigne l’hommedes préoccupations essentielles. L’art concède l’ostentation des riches et des puissants. Il est en marge de la vie réelle, en tant que luxe des plus riches ou consolation des plus miséreux, mais dans les deux cas il se situe en dehors du besoin. L’art est donc un luxe dont l’homme gagnerait à s’en débarrasser. Cela rejoint la classification des désirs selon Epicure : l’homme doit dans son intérêtne retenir que les désirs naturels et nécessaires. Au-delà du nécessaire physique, tout autre désir est alors source de mal. Le mal est d’abord un mal moral, le luxe ne procure qu’un plaisir supplémentaire, qui n’est pas donné par la nature et qui de ce fait n’est pas utile. L’objet de luxe, l’œuvre d’art, est l’objet dont la présence n’apporte rien mais dont l’absence fait souffrir.
L’art…