L’hospitalité dans l’odyssée

L’hospitalité
Si l’Illiade est le poème où le coeur et l’intelligence s’élèvent, unis dans la compassion au-dessus de la mêlée guerrière, l’Odyssée est le poème où l’on voit le même miracle s’accomplir dans la vie quotidienne, sous la forme de l’hospitalité. Ulysse était l’un des rois grecs qui avaient participé à la guerre de Troie; l’Odyssée raconte les péripéties de son voyage de retour versson royaume, l’île d’Ithaque et vers sa fidèle épouse Pénélope qui l’attend entourée de prétendants — au trône… et au lit — du maître absent.

Dans les pays de vieille chrétienté, on se souvient de ces mendiants que l’on traitait avec égards, jusqu’à leur offrir une place à la table familiale, parce qu’on voyait en eux des envoyés de Dieu, sinon Dieu lui-même sous la forme d’un pauvre. LesGrecs du temps d’Homère traitaient les mendiants avec les mêmes égards, pour les mêmes raisons. C’est pourquoi, quand il aborde le pays des Phéaciens, Ulysse croit sage de se déguiser en mendiant avant de pénétrer dans le palais. L’un des invités du roi, Antinoos, l’accueille en ces termes, avant de le frapper avec un tabouret: «Quelle divinité a conduit ici cette peste, ce fléau des repas? Tiens-toiau milieu, loin de ma table […]». Ce n’est toutefois pas le mendiant, c’est Antinoos qui encourt le reproche général: «Tu as eu tort de frapper un malheureux mendiant, ô homme pernicieux; peut-être est-ce quelque dieu venu du ciel. Les Immortels parcourent les villes sous les traits des étrangers; ils prennent des formes nombreuses afin de connaître par eux-mêmes la violence ou la justice deshommes.»

C’est aussi du statut sacré de l’étranger que se réclame Ulysse lorsqu’il s’adresse au Cyclope:Nous voici donc à tes genoux dans l’espoir que tu nous accueilles et que, de plus, tu nous fasses un don, selon la coutume des hôtes […] Zeus défend l’étranger comme le suppliant, il est l’hospitalier, l’ami des hôtes respectables!
À ces mots, il [Polyphème] répliqua aussitôt d’un coeurcruel: «Il faut que tu sois bien sot ou que tu viennes de fort loin pour me demander de craindre et de respecter les dieux!»

Après que le Cyclope eût mangé certains des compagnons d’Ulysse, ce dernier put lui lancer de son bateau: Ce n’étaient pas les compagnons d’un lâche, Polyphème, que tu mangeas par violence au fond de ton antre! Tu n’auras pas tardé à payer le prix de tes crimes, cruel qui necraint pas de dévorer des hôtes en ta maison! Zeus et les autres dieux t’en ont châtié!
Dans la Grèce antique, l’étranger n’avait toutefois pas l’ensemble des droits que lui confèrent les droits de l’homme dans les démocraties contemporaines. Les égards qu’on avait pour lui ne lui étaient pas dus parce qu’il était un être humain, ils étaient plutôt un hommage que l’on rendait aux dieux.L’hospitalité moderne paraît préférable à la mentalité ancienne, en raison de son caractère légitime et universel, mais dans quelle mesure peut-elle devenir réalité là où les hôtes ont perdu tout sens du sacré?

Le souci de l’autre est parfois si vrai, si émouvant dans l’Odyssée qu’on en acquiert la conviction que l’homme ne peut que descendre au-dessous de lui-même en perdant sa dimensionreligieuse.

Quand il rentre chez lui, Ulysse se déguise de nouveau en mendiant, cette fois pour mettre les siens à l’épreuve, pour s’assurer qu’il est l’objet d’un amour inconditionnel. Nos pauvres amours sont presque toujours secrètement malheureuses justement parce que nous ne savons pas si on nous aimera encore quand nous aurons perdu tel ou tel avantage extérieur. D’où l’importance dans lepatrimoine universel, de contes comme La Belle et la Bête ou comme Cendrillon, où l’amour subit l’épreuve de l’apparence misérable.

Dans l’Odyssée, Homère se hisse à ce niveau d’inspiration. Rien n’est plus touchant que l’accueil de son vieil ami, le porcher Eumée, lequel le reconnaît sans le reconnaître: Étranger, je n’ai pas le droit, quand même viendrait quelqu’un de plus misérable que toi, de…