Mme bovary : un livre sur rien ???
Un parcours critique:
Flaubert et son « livre sur rien »
J.P. Richard dit[1] à propos de L’Education sentimentale que « [c’] est d’abord le roman de l’absence, d’une réalité qui se dérobe et dont le héros finit par accepter qu’elle doive toujours lui échapper. » Dans ce « livre sur rien », le lecteur a rarement l’impression d’avoir parcouru unitinéraire enfin duquel celui qui recherche le plaisir du texte aura trouvé celui-ci. Nous emmenant de déceptions en défaites, d’attentes en lassitudes, le roman nous abandonne face à une histoire où il semble ne rien se passer. Placés dans une attitude d’attente, qui fait penser au héros du Désert des tartares de Kafka ; et le lecteur et les personnages ne semblent guère évoluer.
Maisqu’est-ce un « roman de l’absence » ? Et de quelle absence s’agit-il? Celle de l’objet ou plutôt du sujet. L’absence comme manque psychologique que crée chez le sujet la no-présence d’un être ou d’une chose ; donc une sorte de vide qui se ferait autour de celui qui perçoit le monde comme néant ou plutôt, comme l’absence de ce sujet lui-même, -notons ici que Flaubert dans ses deux romans Madame Bovary etL’éducation sentimentale nous présente des héros qui ont une dimension imaginaire plus que réelle ; vivant plus au niveau du rêve que de la réalité- si bien qu’entre eux et le monde il y a une inadéquation fondamentale. Mais avant que ce constat ne soit davantage explicité, ne faut-il pas considérer la notion d’absence dans son acception absolu ; c’est-à-dire ou rien n’est présent pas même l’idéede roman. Et les critiques se sont chacune arrêtée à une des formes de cette absence : absence de réel, d’Histoire, d’héroïsme, de passion, de succès, de sens…entre ces différentes formes d’absence, J.P.Richard s’arrête à celle de réalité : « l’absence, d’une réalité qui se dérobe ». Or il nous faudrait interroger la nature et la cause de cette dérobade de la réalité : est-elle due à la naturede la réalité elle-même ; devenue tellement complexe que le sujet n’arrive pas à la saisir, ou elle est comme telle en raison de la nature des héros dont on a déjà souligné la passivité, le caractère romanesque. Par ailleurs, comment se manifeste cette fuite de la réalité sur le plan de l’écriture romanesque ? Comment le romancier remédie au manque de substance romanesque-de réalité- ? SiL’éducation sentimentale est un roman où la réalité est fuyante, si encore l’histoire est faite d’une vacance du réel et que le personnage consent –de gré ou de force – à renoncer à cette réalité, on est en droit de nous demander quel est l’objet du récit si la réalité qui constitue son champ de référence est à jamais absente, serait-ce alors un roman sur rien ?Un roman « qui se tiendrait par la forcedu style » selon l’expression de Flaubert. Comment dès lors le texte travaille à être œuvre d’art, ne serait-il pas tenté de laisser foisonner le discours[2] pour pallier l’histoire qui s’esquive ? le discours est amené à déjouer la contrainte de l’affabulation de sorte que plus la réalité se fait fuyante, « plus le discours prolifère ».
Si le roman Flaubrtien est considéré par certains commele parangon de la modernité romanesque à un moment où celle-ci n’existait pas encore, c’est en raison de la modernité de son projet, de la passivité ou de l’anéantissement du sujet . Antihéros de L’Éducation sentimentale, Frédéric Moreau[3] use ses forces et ses illusions à contempler le monde que le héros balzacien prenait encore pour un champ de bataille. Mais cette contemplation n’aboutit àaucune compréhension de la réalité. Face à un univers où règne la confusion et l’opacité, et emporté par le cours d’une Histoire dont il ne saisit pas les signes, Frédéric ne peut que renoncer à être héros.
Tout roman est, comme le disait Gilles Deleuze[4] à propos de Proust, une entreprise sémiologique de déchiffrement des signes; de la lecture du monde et de ses ambiguïtés. Et il est…