N’avons nous de devoirs qu’envers autrui ?
N’avons-nous de devoir qu’envers autrui ?
Introduction « Avoir des devoirs » est une expression courante qui implique la présence d’un sujet à l’égard duquel nous sommes engagés. Il est fréquent de penser que nos obligations ont pour destinataire autrui, notre semblable. Cette idée commune est sensée. La vie sociale implique des relations qui ne peuvent fonctionner qu’à la condition d’êtreorganisées par des lois et intériorisées par chacun sous la forme de devoirs. Être honnête, être respectueux, sont des valeurs reconnues pour justes. Est-ce là la totalité de nos devoirs ? Nous parlon aussi de devoirs envers Dieu, l’Etat, et parfois même les animaux et la nature. Y a-t-il un caractère commun à ces divers exemples ? Enfin, le devoir semble avoir une valeur réflexive au sens où ils’adresse aussi à nousmêmes. Ce point peut paraître curieux car il signifie que nous nous devons quelque chose. N’est-ce pas abusif et dangereux pour notre liberté ? Pouvons-nous cependant séparer autrui de ce que nous sommes, si l’autrui est l’« autre moi » ?
1. Aux sources du devoir a) La dette « Devoir » vient du verbe latin debere qui signifie « avoir une dette ». Dans ses études sur le droitancien, Louis Gernet nous apprends que le devoir, debitum, désignait la satisfaction que le débiteur était tenu de fournir à son créancier. Avoir des devoirs serait donc être endetté, et faire son devoir, honorer sa dette. Lorsque je suis redevable à quelqu’un, il dispose ainsi d’un droit sur moi, et je suis son obligé. L’obligation est la marque d’une dépendance reconnue. Je suis tenu de fairequelque chose envers une autre personne, étant donné une situation antérieure. Gernet indique aussi que c’est le premier sens de l’engagement. Si l’époque moderne nous a habitué à le concevoir, avec Sartre, comme l’action d’une liberté qui décide souverainement d’orienter son existence, il faut savoir qu’à l’origine, ce terme désignait l’état de celui qui doit acquitter le prix de sa dette. Ilarrivait même que l’on fût réduit à l’esclavage faute de n’avoir pu payer ce que l’on devait. On engageait jusqu’à sa liberté. b) Obligation et contrainte Ce passage par les sources archaïques du devoir peut d’abord expliquer que l’opinion confonde si souvent l’obligation et la contrainte. Le cas de l’esclavage est assez parlant. Il importe cependant de faire des distinctions conceptuelles. Lacontrainte désigne l’action d’une force non reconnue par notre volonté. Rousseau, dans le Contrat social, l’illustre par l’exemple d’un brigand me menaçant de son pistolet. Si je lui cède en lui donnant mon argent, les mobiles de mon acte seront la crainte et la
prudence. Ce ne sera donc pas un devoir. Rousseau distingue aussi nettement deux façons d’obéir. L’obligation est une manière d’obéir fondéesur le sentiment que la chose doit être faite parce qu’elle est juste. Je me sens « en conscience » tenu d’accomplir ce qui est demandé. Nous retrouvons l’idée d’un dû à acquitter. Par exemple, aller voir un parent âgé est devenu désagréable, mais aussi un devoir. Nous savons que nous lui devons cette visite compte tenu de ce qu’il a fait pour nous autrefois. Que cela ne nous plaise pas n’est pasune raison suffisante pour assimiler cette obligation à la menace d’un malfaiteur ou d’un plus fort qui nous intimide. Le devoir n’a pas pour fondement l’agréable mais le bien. Ces points sont fondamentaux car ils expliquent pourquoi on parle de devoirs civiquesou religieux. Un croyant pense tenir sa vie de Dieu. Il est donc juste qu’il l’honore et obéisse à ses commandements. Un citoyen est lemembre d’un Etat qui lui assure ses droits. Il doit donc respecter ses lois. [ Transition ] Nous avons distingué la contrainte de l’obligation, mais pourquoi donné une place particulière à autrui ?
2. Quel visage pour autrui ? a) L’associé Il est temps de préciser la figure d’autrui. Nous avons dit qu’il s’agit du semblable. Cette figure unit les déterminations du même et de l’autre. Autrui…