Parler, est ce le contraire d’agir ?

L’une des caractéristiques qui distingue l’homme de l’animal est celle de pouvoir user d’un langage oral pour communiquer : la parole remplace le langage du corps et, ainsi libéré de contraintes physiques, l’homme peut s’adonner à d’autres activités tout en communiquant. Grace au langage oral, l’homme peut faire abstraction de ses actes, et il n’a pas besoin de les exécuter pour être compris deses semblabes. Dès lors qu’il est possible de remplacer un acte par une parole, on peut se demander si parler n’est pas le contraire d’agir. En effet, agir suppose un effet immédiat, ressentit, ce que n’offre pas la parole, lorsqu’elle n’est que l’énoncé abstrait d’un acte concret. D’autre part, un contraire mathématique suppose l’annulation des deux termes mis face à face, ce qui supposeraitqu’on ne puisse agir si on use de trop de parole et réciproquement, qu’on ne puisse parler si l’on agit trop. Mais en quoi ces deux termes s’opposent-ils ? Les conflits se limite t’il à ces oppositions ? Les deux faits ne peuvent-ils pas se servir mutuellement ? Et ne peuvent-ils pas s’équivaloir finalement ?

Dans un premier temps on peut penser que parler est l’absolu contrairede l’action. En effet, agir consiste à produire un effet sur les choses, à modifier le réel, ou à créer quelque chose de sensible. On constate la parole produit l’effet inverse de ce que l’on attend de l’action.

Tout d’abord, le langage a pour fonction principale de rendre compte du réel : par la parole, l’homme peut décrire le monde qui l’entoure et se le représenter mentalement. Cettereprésentation du monde accède à la conscience : dès lors que l’homme est conscient du monde et par conséquent de ses limites, il sait aussi que le réel est figé, ce qui va à l’encontre du principe de modification induit par l’action. Le monde est tel qu’il est, il ne se peut modifier, donc l’homme le subit. Cette soumission au monde qui l’entoure installe l’homme dans une situation où l’action estbridée par le langage. D’autre part, la parole est réglée par la langue. Elle est donc limitée dans son rôle descriptif et ne saurait rendre exactement compte de la réalité : elle ne peut en effet pas rendre les innombrables nuances et les subtilités de la vérité. D’autre part, l’homme qui a mal perçu la réalité ne peut la décrire avec précision. La parole peut donc détourner l’homme de la réalitéet décourager son action : l’homme aveuglé ne cherchera pas à modifier une illusion qui le satisfait.

Ensuite, le langage est abstrait : on ne peut rien bâtir de concret à partir de la parole. Un savoir entièrement théorique, tient du domaine de la parole : obtenu par raisonnement, il repose uniquement sur la logique : on ne saurait le vérifier par une expérimentation. Un savoir pratique,tiens du domaine de l’action : il est vérifié par une expérimentation aux résultats sensibles, pouvant être répété à l’infini. Ainsi, la parole s’oppose à l’action : si le raisonnement logique décourage la recherche par son caractère figé de propositions pouvant être justes ou fausses, le savoir pratique encourage la vérification de ce savoir par l’expérimentation, qui est une action.

D’autrepart « agir » peut signifier « adopter une attitude : ainsi « agir pour l’environnement » signifie « adopter une attitude telle qu’elle protège l’environnement ». Parler sur l’environnement ne consiste qu’à proposer une suite de faits sans produire d’effet immédiat. Les deux termes s’opposent donc. L’action s’oppose à la parole dans ses effets immédiats : comme le dit le vieillard Turc à Candide, « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ». Il s’agit pour Voltaire de démontrer la supériorité de l’action, ici, le travail, sur la parole : dans Candide, il s’agit des incessantes réflexions métaphysiques de Pangloss, qui ne trouvent d’aboutissement et qui plongent les personnages dans les « convulsions de l’inquiétude ». Grâce au travail, la paix…