Psychologie du miroir

Umberto Ecco dans son livre. Alentour et au-delà du miroir se pose une question qui peut paraître bien mentale :
« Celui que je vois dans le miroir, c’est vraiment moi. Mais suis-je convaincu que c’est moi parce que je sais que cet objet est un miroir à quoi je fais confiance; ou bien est-ce que je comprends que c’est un miroir parce que je rencontre à sa surface quelque chose qui, sans aucundoute, est moi ? »
La réponse passe par le regard de l’autre qui seul peut comparer mon visage et son reflet. Mais le regard que je prête à l’autre n’est-il pas en vérité mon propre regard ? Et la question rebondit alors en un jeu de miroir indéfini… Qui suis-je sans ce regard, et qu’est ce miroir… ?
L’évidence[1] est pourtant là. Lorsqu’il se crée une relation de dépendance, elle nuit audéploiement authentique.
« En recherchant l’assentiment, l’être humain est défiguré (…)
Regarde-toi tel que tu es sans vouloir changer quoi que ce soit.[2] »
Sans oublier pour autant d’être opératif, de mettre en œuvre la vérité perçue :
« Si quelqu’un est un entendeur de la parole et non un réalisateur, il ressemble à un homme qui observe le visage de sa genèse dans le miroir : il s’observelui-même, et part en oubliant comment il était.[3] »

Qui, se contemplant dans une glace, a conscience de cette évidence, « notre visage, nous ne l’avons jamais vu et nous ne le verrons jamais directement[4] » ? Nous n’en connaîtrons toujours que le reflet, l’image, et cette image nous surprend. Que l’on soit homme ou femme, n’y a-t-il pas en nous un tel désir profond de beauté et d’harmonie qu’ilrend inévitable la déception lorsque nous nous regardons dans une glace? Combien acceptent ce qu’ils découvrent sans rébellion?
La première réaction de toute personne devant son image est de surprise (pris par-dessus) ou d’étonnement (d’E-tonnement), de curiosité (cure I, ose IT) car l’on ne s’imagine jamais tel que l’on se découvre. Puis vient, le plus souvent, le refus, ou bien la satisfaction,toujours limitée, teintée d’une inquiétude que les années vont renforcer. Cela peut même aller plus loin encore. Une gravure symbolique du XVIIIème siècle représente une licorne qui se mire dans l’eau, la corne de son double semble se retourner contre elle[5]. La devise « De moy je m’épouvante » qui accompagne cette œuvre montre combien l’on peut s’effrayer de soi-même.
Spontanément, l’on rejettela limitation de la forme dans laquelle on est incarné. Le miroir, en redoublant les images du moi, ne renforce-t-il pas l’ego de la personne qui se mire et qui se voudrait autre, différente? Mais, à l’opposé, on peut, par ce reflet, prendre conscience de sa personne, c’est-à-dire de son masque selon l’étymologie de ce mot d’origine étrusque, en latin persona : masque de théâtre.
Ce miroir nesert-il pas à apprendre la duplicité? C’est en effet l’expérience du miroir qui nous amène petit à petit l’être humain à cacher les émotions qu’il ressent pour les masquer aux autres. Les aveugles, eux, n’ont pas cette expérience et ne cachent pas leurs émotions tant qu’ils ne prennent pas conscience que celles-ci se traduisent sur leur visage où elles deviennent lisibles pour les yeux des voyants.Ainsi à la fois moyen de connaissance et de dissimulation, le miroir vient interposer son reflet entre la personne et les êtres qui l’entourent.

Que serait pour nous un monde sans miroir?
« Imagine que tu aies vécu dans un monde où n’existent pas de miroirs. Tu auras rêvé de ce qui se trouvait en toi. Et puis suppose (…) qu’on t’ait tendu une glace. Imagine ton effroi! (…). Tu auraiscompris ce que tu refuses d’admettre : ton visage, ce n’est pas toi! »[6]
Ce n’est peut-être pas non plus ce qu’on aura imaginé! Notre visage est à nous, il n’est pas nous, pas plus que l’idée abstraite que nous pouvons nous faire de lui. Sous le masque de l’acteur, un autre masque…
Comment laisser monter de nos plus intimes profondeurs pour l’accueillir notre image véritable? Son observation…