Qui était samuel beckett ?

1) « Né retraité » ?

Samuel Beckett naît dans la banlieue de Dublin en 1906, dans l’Irlande catholique. D’une famille
protestante de la petite bourgeoisie aisée, il reçoit une éducation puritaine, nourrie de lectures de la
Bible, qui développe chez lui une hantise du péché et de la culpabilité, autant qu’un dégoût profond
pour tout ce qui touche le corps.
Brillant élève, doué pour leslangues (il apprend le français, l’italien, l’allemand), il découvre dès l’adolescence
Pétrarque, l’Arioste, Dante, Descartes, Racine, Corneille, mais aussi des auteurs plus modernes
comme Jammes, Larbaud, Fargue. Il est aussi passionné de théâtre.
En 1928, il est nommé pour deux ans lecteur d’anglais à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm.
Sartre, Nizan, Merleau-Ponty y achevaient alorsleurs études. Le dépaysement intellectuel est radical : l’Irlande
ne pourra plus désormais que lui apparaître étroite. Son prédécesseur à ce poste lui présente James Joyce,
dont il devient l’intime. Ulysse avait paru en 1922, Beckett aide Joyce dans la recherche de documentation
nécessaire pour Work in progress, qui deviendra Finnegan’s Wake. Il fréquente aussi les Surréalistes.
Son séjour àl’École normale terminé, il est de retour à Dublin où il s’engage dans une carrière universitaire,
mais il démissionne au bout d’un an. Commence alors une vie errante : Paris, puis Londres, puis
la maison paternelle jusqu’à la mort du père, l’Allemagne, et enfin en 1937, de nouveau Paris.
À cette date, qu’a-t-il écrit ? Adolescent, « il ne pensait pas devenir écrivain »1. Lors de son séjour àl’École Normale, il a écrit des essais sur Dante, Joyce, Proust, des poèmes en anglais et en français, et
des nouvelles dont certaines ont paru dans des revues. En 1935, il a écrit en anglais un roman, Murphy
(publié à Londres en 1938) : l’histoire, pleine d’humour et de dérision, d’un oisif, qui n’aime rien tant
que se bercer dans son rocking-chair, « attentif à ce qui implore en lui », parce qu’ « ily a toujours à
écouter » en soi, comme le dit Beckett de lui-même2. Comme Murphy, Beckett semble « né retraité »3 :
à Paris, en 1937, il fréquente sans doute les peintres Giacometti, les frères Van Velde, Duchamp, mais
il fuit toute vie sociale et comme son personnage, peut passer de longs moments allongé, dans sa
chambre, sur les hauteurs d’un immeuble du quartier Montparnasse. Toute sa vie,il aimera se retirer
ainsi du monde, et le fera plus tard dans sa maison en région parisienne, écrivant, jouant du piano, et
vivant dans la plus profonde solitude, loin des bruits du monde, des mondanités du prix Nobel, ou de
l’esprit de sérieux des critiques universitaires qui auront tôt fait de s’emparer de son oeuvre.
Pour l’instant, en cette fin des années trente, Beckett « se sentaitperdu, écrasé, vivait comme une
loque. (…) Il ne pouvait rien faire. Ne parvenait même pas à lire »4 , à l’image de cette jeune fille dont
parle Jung lors d’une conférence à laquelle il a assisté en 1935 : « Au fond, elle n’était jamais née. »,
déclare Jung, et Beckett d’ajouter dans une confidence à Charles Juliet, en 1968 : « J’ai toujours eu le
sentiment que moi non plus, je n’étais jamais né.»5.

2) La nuit révélatrice de 1946

La guerre éclate. Dès l’automne 40, Beckett s’engage dans un réseau de résistance, ce qui lui vaut de
manquer être arrêté par la Gestapo, ainsi que sa compagne, pendant l’été 42. Ils s’installent alors dans
le Vaucluse, où Beckett continuera de travailler pour le maquis, tout en achevant la rédaction d’un
autre roman : Watt
En 1946, il doit se rendrepour des raisons personnelles en Irlande. Il se bat, en vain, pour faire éditer
Watt. Beckett a transposé dans le soliloque de Krapp, dans La Dernière bande (1959), la révélation que
lui apporte une promenade nocturne :
« Spirituellement une année on ne peut plus noire et pauvre jusqu’à cette mémorable nuit de mars,
au bout de la jetée, dans la rafale, je n’oublierai jamais, où tout…