Sujet invention bac
Texte B : Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836.
[Nous sommes au début du roman ; Octave, le héros, raconte ici un épisode fondateur de sa jeunesse.]
J’ai à raconter àquelle occasion je fus pris d’abord de la maladie du siècle. J’étais à table, à un grand souper, après une mascarade1. Autour de moi mes amis richement costumés, de tous côtés des jeunes gens et desfemmes, tous étincelants de beauté et de joie ; à droite et à gauche des mets exquis, des flacons, des lustres, des fleurs ; au-dessus de ma tête un orchestre bruyant et en face de moi ma maîtresse,créature superbe que j’idolâtrais.
J’avais alors dix-neuf ans ; je n’avais éprouvé aucun malheur ni aucune maladie ; j’étais d’un caractère à la fois hautain et ouvert, avec toutes les espérances etun cœur débordant. Les vapeurs de vin fermentaient dans mes veines ; c’était un de ces moments d’ivresse où tout ce qu’on voit, tout ce qu’on entend vous parle de la bien-aimée. La nature entièreparaît alors comme une pierre précieuse à mille facettes, sur laquelle est gravé le nom mystérieux. On embrasserait volontiers tous ceux qu’on voit sourire, et on se sent le frère de tout ce qui existe. Mamaîtresse m’avait donné rendez-vous pour la nuit, et je portais lentement mon verre à mes lèvres en la regardant.
Comme je me retournais pour prendre une assiette, ma fourchette tomba. Je mebaissai pour la ramasser, et, ne la trouvant pas d’abord, je soulevai la nappe pour voir où elle avait roulé. J’aperçus alors sous la table le pied de ma maîtresse qui était posé sur celui d’un jeune hommeassis à côté d’elle ; leurs jambes étaient croisées et entrelacées, et ils les resserraient doucement de temps en temps.
Je me relevai parfaitement calme, demandai une autre fourchette et continuaià souper. Ma maîtresse et son voisin étaient, de leur côté, très tranquilles aussi, se parlant à peine et ne se regardant pas. Le jeune homme avait les coudes sur la table et plaisantait avec une…