Violence dans societe contemporaine

SOCIOLOGIE

AU MIROIR DE LA VIOLENCE

par Jean-Marc REMY

Rédacteurs

Autres articles ?

« Pour qu’il y ait société, il faut que les gens posent les lances »

(Marcel MAUSS).

A la vision candide du « bon sauvage », l’expérience de la vie et de l’histoire oppose cette évidence : « l’homme est un loup pour l’homme ». La formule est d’un auteur comique de l’Antiquité romaine…FREUD ne démentira pas – qui a consacré sa vie à l’exploration de ces obscures « machines désirantes » que sont les êtres humains – constatant qu’il ne leur est décidément pas facile de renoncer à satisfaire ce penchant naturel à l’agression. En s’inscrivant dans l’ordre social « l’homme de la culture a fait échange d’une part de possibilité de bonheur contre une part de sécurité » (FREUD, Le Malaise dela culture, 1929). Echo moderne du « contrat social » théorisé par HOBBES au XVIIème siècle : la société érigée contre la violence.

Pourtant la violence reste aujourd’hui au coeur des préoccupations. Alimentée par la mise en scène d’une actualité redondante, le sentiment d’insécurité se manifeste de plus en plus… parfois sous des formes pathologiques. Le sociologue n’a bien souvent à opposer, àpartir de données historiques ou statistiques, qu’une « mise en perspective »… laquelle n’entame en rien la déréliction dont semblent frappés nos contemporains. On s’abuserait en ramenant cette détresse sociale – authentique – à l’effet démiurgique des média. Si la société n’est plus capable d’assurer à chacun sa « part de sécurité », c’est le lien social qui perd sa légitimité.

LA VIOLENCE: UN CONCEPT « MOU »…

La violence n’est pas à proprement parler un concept sociologique. Le juriste sait qualifier un « délit » ou un « crime » au regard du droit en vigueur, le sociologue définit la « déviance » comme une transgression des normes sociales dominantes… mais les significations prêtées à la violence sont multiples, fluctuantes et extensibles à loisir.

La violence au sensstrict, la seule mesurable, est la violence physique. C’est l’atteinte directe, corporelle, à autrui. Ce que les statistiques judiciaires désignent comme « crimes contre les personnes ». Dans son Histoire de la violence, J.C. CHESNAIS distingue violence privée et violence collective. Cette opposition paraît d’autant plus judicieuse que si la violence interindividuelle est – le plus souvent – dénoncée, cen’est pas toujours le cas de la violence collective (des citoyens contre l’Etat, de l’Etat contre les citoyens…) parfois considérée comme un mal nécessaire.

Mais dans une société où l’être et l’avoir sont souvent confondus, les atteintes aux biens sont également perçues comme une forme de violence. Violence économique qui peut revêtir aujourd’hui d’autres modalités que le vol proprement dit: délinquance financière, OPA sauvages voire licenciements… A la limite, toute forme de rapport commercial peut être analysée comme un rapport de force réifié (on a pu parler ainsi de La Violence de la monnaie, AGLIETTA & ORLEAN), de même le rapport salarial, lieu d' »extorsion” de la plus-value pour les marxistes… On aborde ici le registre de la violence symbolique qui, plus généralement,pourrait qualifier toute forme de pouvoir, même – et surtout dirait BOURDIEU – quand celui-ci avance « masqué » (le rapport pédagogique analysé comme l’imposition d’une violence scolaire dans La Reproduction).

Un tel glissement sémantique interdit toute définition rigoureuse de la violence. De plus, cette extension progressive de sens pourrait contribuer à accréditer l’idée que le phénomène lui-mêmes’aggrave irrésistiblement… La difficulté, en effet, tient également au caractère « relatif » de sa perception. Ainsi, à chaque étape de l’histoire humaine correspondent des formes de violence particulières. Ce qui paraît cruel pour la sensibilité occidentale (les scarifications, par exemple) relève de la norme dans certaines sociétés traditionnelles… Inversement, certains traitements…