Voltaire

VOLTAIRE, Candide
Lecture analytique du chapitre 1

Le chapitre I de Candide joue un rôle d’exposition. L’incipit du conte a pour fonction de présenter un contexte et des personnages et de mettre « en route » l’histoire. Cela se fait d’une manière tout à fait traditionnelle, en petits paragraphes successifs qui mettent en scène les protagonistes. Chacun est caractérisé par unespécificité et par une situation familiale ou sociale. Dans la présentation qui est faite des personnages et des lieux, tout semble aller pour le mieux. Pourtant, le lecteur attentif note quelques « grincements » un peu inquiétants. Voilà que se révèlent quelques distorsions, indices qui lui laissent à penser qu’il ne doit peut-être pas tout prendre au premier degré. Que cherche à faire Voltaire ? Pourquoicet accent mis sur le décalage entre l’apparence et la réalité ? Dès le début du conte, la perspective philosophique et critique apparaît et il convient d’analyser la manière dont elle se met en place. Notre analyse de l’extrait s’attachera à étudier la manière dont le conte traditionnel est ici parodié, tout comme l’est l’aristocratie, victime d’une satire mordante ; avant d’envisager la critiquede la religion et de la philosophie optimiste.

I – Une parodie de conte traditionnel
1) Un début de conte traditionnel ?
Les personnages conventionnels et sans intériorité d’ordinaire sont ici réduits à des types abstraits. L’évocation de Candide encadre celle des autres personnages. Cette composition situe d’emblée le jeune garçon comme le héros, mais insiste aussi sur sa marginalitésociale de bâtard. Il est ensuite réintégré à sa place normale, qui est la dernière. Les comparses se présentent dans un ordre familial et social hiérarchique : le baron, son épouse, leurs enfants, le précepteur, enfin l’enfant naturel. La fille vient avant le fils, ce qui annonce le rôle majeur de Cunégonde. De même, seuls Candide et Cunégonde ont un prénom (on ignore si Pangloss est un nom ouun prénom). Candide est un prénom-portrait. Son aspect physique et moral coïncide avec l’innocence que connote son nom : « sa physionomie annonçait son âme ». Né d’un père « bon et honnête », il a un physique agréable, qui expliquera l’attachement sensuel de Cunégonde. Ses qualités d’intelligence (« jugement assez droit ») et de morale (« mœurs les plus douces ») le prédisposent à une évolutionvers l’esprit critique. Mais cette économie de description n’est rien en regard du sort réservé au baron, à sa femme et à son fils, anonymes et expédiés en deux traits d’esquisse caricaturale. Si le baron est ridicule même pour ses serviteurs, son épouse ne se distingue que par son poids (la baronne, d’une obésité encombrante, pèse entre 150 et 175 kg). Cunégonde est appétissante, mais sa fraîcheur(allusion grivoise à sa virginité) est vouée à ne pas durer. Quant au fils, on se contente de noter qu’ « il paraissait en tout digne de son père », ce qui vu le portrait du père retourne le compliment en charge féroce ; ce qui sera confirmé dans la suite du conte où il se montrera imbu de ses titres jusqu’à en être borné.

2) Des éléments du conte traditionnel détournés
La formuleinaugurale, « il y avait », fait référence au connecteur générique du conte (le présentatif « il était une fois »). La formule est détournée, car elle est appliquée à la Westphalie, une des provinces les plus pauvres d’Allemagne et donc pas à un univers merveilleux. Le faux merveilleux est mobilisé dans la mention du lieu et de ses habitants, décrits de manière superlative. Le « plus beau deschâteaux » évoque le lieu canonique du conte de fée. Mais son nom ridicule (Thunder-Ten-Tronckh), difficile à prononcer et désagréable à entendre est aux antipodes du conte merveilleux. Les habitants sont également présentés sur le mode de l’excellence : Candide a « les mœurs les plus douces », le baron est « un des plus puissants seigneurs de la Westphalie », la baronne est « la meilleure des…