Zola dissertation

1ère partie : les garants de l’impersonnalité

C’est au terme d’enquêtes minutieuses que Zola entreprenait l’écriture de ses romans, et L’Assommoir est nourri d’une observation directe du quartier de La Goutte d’Or à Paris.
L’utilisation constante du discours indirect libre par le narrateur laisse croire à son absence : les propos des personnages semblent continuer au-delà de leurs échanges.Une voix anonyme qui pourrait être celle du peuple semble être la vraie narratrice du roman.
L’attitude du narrateur à l’égard de ses personnages se garde de toute appréciation : nulle connivence, aucune trace d’ironie et peu de condamnation morale. Il est difficile de démêler ce qui dans leur histoire en fait tour à tour des victimes ou des coupables. La vie seule, et une certaine logique dumilieu auquel ils appartiennent, nous laissent tirer les conclusions qui s’imposent.
Il arrive souvent que ce soient les personnages qui tirent eux-mêmes la leçon des faits, sans commentaire explicite du narrateur ; ainsi la remarque du docteur à Gervaise : « Vous aussi vous buvez. Un jour, vous finirez comme ça ».
Ainsi Zola réalise pour L’Assommoir le vœu de Flaubert en tant que narrateur : »être présent partout, visible nulle part ».

2ème partie : les exigences de la création romanesque

Maupassant l’établit clairement dans la préface de Pierre et Jean : le romancier doit nécessairement choisir, faute de pouvoir tout raconter. Il doit aussi retenir des faits multiples de la vie ceux qui seront les plus significatifs. Ainsi, dans L’Assommoir, la chute de Coupeau, le retour deLantier, la pluie qui force Gervaise à entrer dans le bistrot, sont autant de circonstances par lesquelles le romancier donne « un coup de pouce » au réel.
La durée romanesque n’est pas celle de la vie. La compression des événements, nécessaire à la narration comme à la lecture, les transforme en histoires et les vies les plus banales en destins. L’art organise un récit démonstratif où lecaractère fortuit des événements s’efface au profit d’anecdotes signifiantes (symboles prémonitoires, images de mort).
L’instruction des faits laisse transparaître le romancier qui les organise et le procès-verbal devient réquisitoire : les maigres salaires, les logements sordides, l’omniprésence du bistrot, l’incapacité de toute réflexion politique ou esthétique due à une extrême ignorance. Parfois lanarration ne peut se déprendre de remarques navrées sur l’avachissement de Gervaise.
Le style de Zola est loin de correspondre à l’idéal du greffier ! (voir supra) Métaphores animistes (l’alambic), grandissements épiques (le repas de Gervaise), personnages mythifiés (Goujet) donnent au roman une puissance imaginative qui ne doit rien au procès-verbal. Même le langage ouvrier est, à bien deségards, une création littéraire.
Les théories de Zola semblent donc bien en-deçà de la richesse de ses œuvres. Mais l’ambition du naturaliste est-elle pour autant un échec ?

3ème partie : « un coin de la création vu à travers un tempérament »

Zola appréciait la définition du roman proposée par Alphonse Daudet : « un coin de la création vu à travers un tempérament ». Il reconnaissait ainsi ladimension nécessairement subjective de la création romanesque, sans pour autant y voir une entorse aux principes naturalistes :
Il importe en effet de saisir la différence entre le réel et le vrai (Hugo ainsi disait du théâtre qu’il « n’est pas le pays du réel : il y a des arbres de carton, des palais de toile, un ciel de haillons, des diamants de verre, de l’or de clinquant, du fard sur la pêche,du rouge sur la joue, un soleil qui sort de dessous terre. C’est le pays du vrai…» (Tas de pierres, III, 1830-1833). Si Zola s’éloigne de la vérité brute du réél, il réussit néanmoins à être vrai, d’une vérité supérieure qui est celle de l’art. Le procès-verbal du greffier serait informe et, pour tout dire, illisible. Le roman prête son ordre et la chair vivante des personnages à la leçon….