Le désir peut-il se satisfaire de la réalité?

Introduction :

A première vue, il semble assez évident que le désir, loin de se satisfaire de la réalité, ne cesse de se plaindre de ses manques. Contrairement au besoin, qui disparaît une fois assouvi, le désir semble « jouer à saute-mouton », se portant incessamment d’un objet à l’autre en dépassant chacun vers ce qui lui semble être encore mieux.
Mais un objet ne nous satisfait-ilplus parce qu’il lui manque quelque chose, ou bien parce que notre désir s’en est lassé ? Il s’agit de savoir si l’insatisfaction ressentie provient de l’objet lui-même ou du désir. Dans le premier cas, on pourrait se dire que, peut-être, on n’a pas encore trouvé l’objet satisfaisant, mais qu’il faut continuer à chercher. Dans le second cas, on devrait reconnaître que toute recherche serait vaine,car il serait de l’essence même du désir de ne pouvoir jamais être satisfait d’aucune réalité.
Dans les deux cas, la question nous invité à interroger l’essence du désir. Demander se le désir peu se satisfaire de la réalité, c’est demander si le fait d’être comblé fait partie des possibilités du désir. Mais, s’il est de l’essence du désir de rester insatisfait et insatiable, faut-il s’enémouvoir ou s’en réjouir ? Pourquoi, en effet, vouloir satisfaire le désir s’il s’avère que celui-ci est par essence insatiable ? Deux problématiques s’entrecroisent au cœur de cette question : celle qui interroge l’essence du désir et celle, moralisante, qui s’interroge sur l’attitude qu’il convient de prendre (s’en réjouir ou la regretter ?) devant l’instabilité du désir.
L’enjeu de ces questionsdépasse la recherche de l’essence du désir en ce qu’elle réinterroge l’essence même de l’homme.

Première partie :

Que le désir ne puisse se satisfaire de la réalité est ce que les philosophes grecs ont à la fois unanimement constaté et regretté. Si les hommes désiraient moins ou ne désiraient pas, ils seraient plus heureux. La problématique du désir se trouve ainsi, dès le début,confondue avec celle du bonheur. Mais la critique des philosophes porte-t-elle sur le désir, dans son essence, ou seulement sur certains objets du désir, ceux qui excèdent les besoins du corps ? Platon distingue en effet les désirs du corps et le désir de l’âme, méprisant et condamnant radicalement les premiers, mais valorisant le deuxième comme le seul digne d’être cultivé. Ainsi, tout ce quiconcerne le corps est condamné (richesses, passions, honneurs), tandis que ce qui concerne l’âme (le désir de connaître la vérité) est loué. On remarque que l’utilisation du singulier, réservé à l’âme, anoblit le désir tandis que son utilisation au pluriel enlaidit le corps. Le jugement de valeur ne contamine pas seulement la source du désir (corps et âme) mais aussi ses objets : les objets désiréspar le corps sont méprisables, celui désiré par l’âme, la vérité, est seule valable. Pourquoi ce que désire l’âme est-il plus capable de satisfaire le désir que ce que désire le corps ?
La représentation que Socrate donne des désirs du corps est celle d’un tonneau percé qu’il faudrait remplir d’eau éternellement. Cela signifie que les biens matériels ne pourront jamais satisfaire le désir,parce que leur nombre infini rend la satisfaction impossible (un nouvel ordinateur, plus performant, sera toujours nécessaire…), ce qui rend vaine la recherche elle-même
Mais la recherche de la vérité n’est-elle pas elle-même vouée à l’infini ? Il faut se demander ce qui distingue fondamentalement ce type d’objet, désiré par l’âme, des biens matériels : en quoi le désir de connaître, parexemple, est-il plus satisfaisant que les désirs de bien vivre et de bien manger, dans la mesure où ni l’un ni l’autre ne mettent un terme au fait de désirer ?

Deuxième partie :

Toutefois, il ne s’agit pas de savoir si un type d’objet peut venir satisfaire le désir, mais si celui-ci, de lui-même, peut se satisfaire de la réalité.
Que signifie cette expression : « se satisfaire de…