Beaudelaire

A UNE PASSANTE

Charles Baudelaire

Le sonnet A une passante appartient aux tableaux parisiens, il est donc lié à l’inspiration de la vie. L’univers urbain offre à Baudelaire des sujets de description, de narration, de réflexion. Mais le poète ne reste pas extérieur au spectacle de la rue. Il y participe à la recherche de rencontres décisives en quête de symboles qui font de cesspectacles et de ces rencontres les reflets d’un monde complexe, celui de la condition humaine, celui de sa propre vie. En ce sens, chaque rencontre est importante.

Introduction
Le sonnet est construit sur un thème romanesque, celui de la rencontre. Mais il est traité dans une tonalité typiquement baudelairienne. On trouve l’éblouissement de l’attirance féminine, la recherche d’une nouvelleespérance pleinement heureuse et l’échec d’une relation qui laisse le poète désemparé.
Lecture du texte
| |La rue assourdissante autour de moi hurlait. |
| |Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, |
| |Une femme passa, d’une main fastueuse |
| |Soulevant, balançant le festonet l’ourlet ; |
| |Agile et noble, avec sa jambe de statue. |
| |Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, |
| |Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan, |
| |La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. |
| |Unéclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté |
| |Dont le regard m’a fait soudainement renaître, |
| |Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? |
| |Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! |
| |Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,|
| |Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! |
| |Baudelaire |
| |Les Fleurs du mal, 1857 |

Annonce des axes

Etude :
I. Le rencontre
Cette rencontre se réalise dans un contexte sonore. Le contexte va êtresouligné par son aspect déplaisant. C’est tout le vacarme de la rue moderne qui est exprimé d’abord:
– par la personnification de la rue
– par la distance entre le sujet « la rue » et le verbe « hurlait », comblé par la présence de l’adjectif « assourdissante »
– par deux hiatus (succession de deux voyelles appartenant à des syllabes différentes, ici « rue assourdissante » et « moi hurlait ») quisont, eux aussi évocateurs de vacarme. Il est important dès le premier vers de faire saisir que si la rencontre, la communication entre le poète et la passante ne passe que par le regard, c’est que la communication verbale est impossible.

La présence exceptionnelle de la passante est d’abord marquée par l’insistance que met le poète à souligner son allure par le rythme ample de laphrase qui s’étend sur quatre vers et qui contient son portrait en mouvement. Le vers 2 est ponctué de façon à délimiter des groupes de longueur croissante et précède la régularité des vers 3 et 4. Dans le vers4, les quatre groupes de trois syllabes impriment rythmes et harmonies de la démarche. Quant au vers 5, il constitue du point de vue de la structure une sorte d’enjambement sur le deuxièmequatrain et surtout élargit le portrait en apportant des éléments d’ordre moral. Ici, la beauté morale se joint à la grâce du corps et aboutit à l’idéalisation de la beauté dans l’expression « avec sa jambe de statue ». Dans le 1er quatrain, il faut aussi retenir l’expression « en grand deuil » qui évoque la tristesse et le malheur. Baudelaire a expliqué que la notion de tristesse accompagne pour lui…