Bilan annuel

1 ère PARTIE

SOUVENIRS DE LA GUERRE

1939 – 1940

PREMIER CHAPITRE

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CHARLEVILLE DU 3 SEPTEMBRE 1939 AU 10 MAI 1940

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Aux Sables d’Olonnes depuis le 15 Août 1939 où les charmesde la mer s’unissaient avec ceux de la campagne vendéenne, où vieilles églises et vieux châteaux tapis au fond de gentils petits cours d’eau alternaient avec les paysages variés de la côte de l’île de Noirmoutier, nous coulions une existence douce, formant entre autres projets celui de visiter les marais Poitevins.

Hélas la voiture prêtée pour cette excursion servit pour un voyage rapide deretour les Sables – Charleville, 715kms en une seule étape. Je laissai aux Sables ma femme, nos deux filles et le petit Jean-Pierre âgé de un mois et demi à peine.

Que s’était-il donc passé? Une « drôle de guerre » au début, qui devait se terminer ensuite d’une façon tragique allait commencer.

Ma voiture au retour croisait dans villes et villages de nombreux futurs soldats qui à l’appel desaffiches blanches tapissées des premières lettres de l’alphabet se rendaient dans leurs centres mobilisateurs. Vers Orléans déjà des files de camions réquisitionnés stationnaient le long des routes. Vers Fontainebleau, je commençais à rencontrer ces AV2 de malheurs comme me dit un garagiste, qui avec leurs nombreux bagages, leurs matelas, leurs couvertures et leurs ficelles inauguraient unenouvelle mode de locomotion automobile qui plus tard se généraliserait. Ils en avaient déjà l’habitude, en septembre 1938 ils avaient déjà fait ce trajet Est-Ouest à travers une France alors tout étonnée de leur accoutrement. Pauvres gens du Nord et de l’Est vivants depuis un an de perpétuelles alertes, forcer d’envisager dès le temps de paix des maisons de replis comme cette « villa Jean-Pierre » queje venais de quitter. Mais déjà les Ardennes approchaient. Passés les crêtes de Poix, je traversais leurs villages enlacés dans les boucles de la Vence. Déjà les cantonnements de soldats s’y installaient et qui allaient y demeurer 6 mois.
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Je retrouvais un Charleville plus calme qu’en septembre 1938, beaucoup moins abandonné par ses habitants qui tous pensaient « nousavons déjà vu cela ».
Toutefois l’affiche blanche de mobilisation générale parut au mur. Et le dimanche 3 septembre, en déjeunant chez Yvonne (ma sœur) à Revin la T.S.F. nous apprit que nous étions en guerre. Et le lendemain m’arrivait des Sables une dépêche ainsi conçue « suis au courant Yvette ».
Au début ce fut très calme, on s’attendait à être bombardé tout de suite et nous creusionsfébrilement mon beau-père et moi une tranchée dans son jardin, trachée qui plusieurs fois remaniée finit par devenir un blockhaus presque confortable. Et tandis que les soupiraux se garnissaient de sac de terre, les greniers eux se tapissaient de sable, généreusement distribués par la ville. On essayait ses masques à gaz et dans les bureaux d’hygiène de la préfecture qui semblaient sortir de leurtorpeur, on commandait fébrilement le coton et les objets de pansements devant servir aux postes de secours encore sur le papier. On découvrait de multiples abris pour 50, 100 personnes et lorsque alléché par l’écriteau on voulait y pénétrer on en ressortait aussitôt ayant une opinion bien assise sur la légèreté tant de l’édifice sue des autorités compétentes qui l’avaient désignés.
Et cependant lecalme continuait. De la guerre en définitive on ne connaissait qu’une simple alerte à titre d’essai et la nuit un obscurcissement des lumières tout superficiel, rébarbatif vraiment aux sifflets encore tout neufs de la défense passive. Au début les plus timorés étaient partis, des camions de meubles avaient été à toute vitesse transportés par route en des endroits lointains avec des prix coûteux….