Engagement et radicalite

ENGAGEMENT ET RADICALITE
par Fabienne Messica et Monique Crinon

L’engagement est un acte vers l’avenir , un pari dont le sujet est le garant . C’est un acte initiatique qui comporte une dimension symbolique d’initiation, de rite . Cette double dimension, initiatique et corporelle, s’affaiblit dans l’usage juridique du mot où le caractère contractuel s’organise autour d’un élément tiers :l’objet de l’échange . S’engager peut signifier « s’incorporer » comme dans l’expression « s’engager dans l’armée ». Le corps est alors , non seulement offert en gage , mais encore dissous dans un autre corps. L’affirmation de la positivité d’un choix coïncide ici avec la décision d’être dans un autre, l’affirmation d’une appartenance et l’abandon de son autonomie. L’idée d’un processus se perd .L’incorporation devient l’engagement mené à une logique ultime d’aliénation . Il y a donc un paradoxe de l’engagement, expression d’une volonté libre ou désir de se perdre en s’incorporant.
L’engagement est au fondement même de la loi : on ne saurait juger un individu si on ne le suppose pas engagé , inclus dans une société et par là même soumis à ses lois . Ainsi, l’individu dans une collectivité est-il engagé sans avoir besoin de se prononcer solennellement parce qu’être dedans, c’est déjà être engagé. C’est pourquoi demander à des enfants d’immigrés nés en France de se prononcer à leur majorité , de s’engager solennellement pour la nationalité française, c’est juger qu’auparavant ils n’étaient nulle part, ils n’étaient rien , ils n’étaient pas engagés. C’est oublier que l’engagement relèvede la nécessité autant que de la liberté. Là où l’on naît relève de la nécessité mais l’engagement, c’est être là où l’on est et dans ce que l’on veut être, c’est une augmentation de l’être. Même dans la conception contractualiste du droit, l’engagement conserve la dimension d’implication solennelle du sujet. Dans les tribunaux, les témoins jurent de dire la vérité, toute la vérité. Il existe unlien entre le serment, la promesse, l’engagement et la vérité. C’est l’une des significations de la réponse de Kant à Benjamin Constant au sujet « d’un prétendu droit de mentir ». Benjamin Constant avait exposé le cas d’un homme qui cache un ami poursuivi par des assassins. N’est-il pas justifié de mentir pour sauver la vie de son ami, c’est à dire par bonne intention? Mais pour Kant, l’exceptionmorale n’existe pas et admettre le droit de mentir dans certains cas, c’est universaliser une doctrine du mensonge. Plus grave encore, c’est séparer théorie et pratique puisque ce qui est vrai en théorie ne le serait plus en pratique.

Cependant, l’aporie soulevée par Benjamin Constant n’est pas résolue. Car l’engagement, s’il a une signification universelle a aussi une autre dimension: celle de lapromesse, des affinités électives. Ce qui se joue ici est l’articulation entre l’universel et le singulier, la fidélité et la loi morale. L’engagement est un acte singulier qui signifie de façon universelle mais pas forcément normative.
L’engagement est dans le prolongement de la promesse, de la fidélité. Il incarne en même temps le passage d’une société féodale à une société fondée sur lecontrat social. Le monde féodal est celui de la fidélité, de la foi et du serment. L’acte d’allégeance est une promesse, le serment une institution. Ainsi, la loi repose t-elle sur la foi. Dans l’idée de l’engagement, la preuve se substitue à la foi. Le gage est la preuve de la sincérité de celui qui s’engage. Cependant, nous ne sommes pas dans une rationalité qui exclut la croyance.

Le concept deradicalité renvoie à cette idée de quelque chose de plus proche de la racine, quelque chose qui n’est pas altéré, une substance pure. Quelle que soit la période historique, quel que soit le lieu géographique, la radicalité consiste à ne jamais abjurer sa foi, à maintenir la permanence d’une vérité, à garder le temple, à éradiquer les déviants. C’est un point limite auquel se mesure l’engagement….