Est-il possible de penser par soi-même ?

Est-il possible de penser par soi-même ?

Les sociétés démocratiques se caractérisent par la libre expression des opinions, chaque citoyen étant susceptible d’exprimer la sienne propre. Il n’est pas un grand média qui ne possède son émission ouverte aux interventions du public, pour la radio et la télévision, ou sa page des lecteurs pour la presse écrite. Le plus spectaculaire reste sans douteinternet, qui a vu le succès des forums de discussions ainsi que des blogs dans lesquels tout le monde peut exprimer ses pensées sur une infinité de sujets. Ceci laisse supposer qu’il existe, au-delà du légitime désir de communiquer ses idées, une véritable richesse de la pensée individuelle. Toutefois, les fréquentes publications de sondages d’opinion tendent à montrer qu’il n’existe pas ou trèspeu d’originalité de la pensée mais qu’au contraire quel que soit le sujet c’est la pensée commune qui règne en maître.
Est-il alors possible de penser par soi-même ? Avons-nous la capacité d’élaborer des idées, des réflexions sans avoir besoin d’aide ni subir l’influence d’autrui ?
Le problème porte sur la nature de la pensée et sur les conditions de son élaboration. En d’autres termes,faut-il croire que la pensée est, par essence, et dès l’origine, personnelle et soustraite aux influences extérieures ou bien, au contraire, faut-il considérer que la pensée individuelle n’est rien d’autre que le reflet de la pensée commune, déjà présente dans l’environnement social de tout individu ?
C’est alors la détermination de la valeur de la pensée en général et de notre pensée qui semble êtrel’enjeu central du sujet. (avec possibilité d’ouvrir à la liberté de penser)

Penser par soi-même semble tout d’abord une indiscutable évidence, dont on peut montrer la pertinence.
D’une part, si comme le montre R. Descartes « toutes les opérations de la volonté, de l’entendement, de l’imagination et des sens sont des pensées.»(Réponses aux secondes objections), la pensée se définit alors commel’ensemble des représentations mentales d’un sujet. En ce sens elle est toujours première, toujours déjà là, c’est-à-dire innée. En effet, l’homme est un animal qui manque d’instinct. Il ne possède pas, en lui, de système naturel d’adaptation mécanique et inconscient qui assurerait la survie de son espèce. Or, pour combler ce manque, l’homme dispose de facultés intellectuelles (sensation, imagination,entendement,…), sous forme de prédispositions, qui se développent en lui et sont la marque même de son évolution. La pensée est donc la caractéristique essentielle de l’homme, ce qui le définit comme être pensant. «Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête (car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoirl’homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute. » Pascal, Pensées.
D’autre part, cette pensée comprend, toujours selon la définition cartésienne, « tout ce qui est tellement en nous que nous en sommes immédiatement connaissants.» Cela signifie que la pensée n’est rien autre chose que la conscience que l’homme prend de lui-même, autrement dit la conscience de soi. En effet, il n’est de penséevéritable que consciente d’elle-même. Sans ce retour sur soi de la pensée, elle ne serait rien d’autre qu’un mécanisme aveugle, c’est-à-dire un instinct qui, justement, fait défaut à l’être humain. Aussi la pensée se caractérise-t-elle par son intériorité, le rapport intime de soi à soi, ce qui fait que mes souvenirs, mes sentiments, mes idées, n’appartiennent qu’à moi. C’est ce qui fait de moi unindividu à part entière, unique. Mes pensées sont donc nécessairement personnelles puisqu’elles viennent de moi et que personne ne peut lire en moi ou influencer d’une quelconque manière cette intériorité que je suis et à laquelle je suis le seul à pouvoir accéder.
Il est d’ailleurs remarquable qu’une part au moins de ma propre pensée soit difficilement maîtrisable, y compris par moi-même….