Fables de la fontaine

?Le Lion et le Moucheron
Année de parution : 1668
Catégorie : Fables

Va-t-en, chétif insecte, excrément de la terre !
 » C’est en ces mots que le Lion Parlait unjour au moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.
 » Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi Me fasse peur, ni me soucie ?
Un bœuf est plus puissant que toi, Jele mène à ma fantaisie.
 » À peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l’abord, il se met au large ;
Puisprend son temps, fond sur le cou Du lion, qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit; on se cache, on tremble à l’environ :
Etcette alarme universelle Est l’ouvrage d’un moucheron.
Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle :
Tantôt pique l’échine et tantôt le museau.
Tantôt entre au fonddu naseau.
La rage alors se trouve à son faîte monté.
L’invisible ennemi triomphe et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettreen sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air, qui n’en peut mais, et sa fureurextrême
La fatigue l’abat : le voilà sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partoutl’annoncer, et rencontre en chemin L’embuscade d’une araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux dont l’une estqu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.