Florilège

POEME MOYEN-AGE.
Othon de Granson ( 1330-1397 )
La grand beauté de vo viaire clair.
La grand beauté de vo viaire clair |
Et la douceur dont vous êtes parée |
Me fait de vous si fort énamouré, |
Chère dame, qu’avoir ne puis durée. |
A toute heure est en vous ma pensée. |
Désir m’assaut durement par rigueur. |
Et si par vous ne m’est grâce donnée, |
En languissantdéfiniront mes jours. |
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Allégement ne pourraie trouver |
Du mal que j’ai par créature née, |
Si par vous non, en qui veut affermer |
Entièrement mon cœur, sans dessevrée. |
Il est vôtre, longtemps vous ai aimée |
Céléement, sans en faire clameur. |
Et si l’amour de vous m’est refusée |
En languissant définiront mes jours. |
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Ci vous supplie humblement que passer |Ma requête veuillez, s’il vous agrée. |
Assez pouvez connaître mon penser |
Par ma chanson, qui ballade est nommée. |
Plus ne vous dis, belle très désirée, |
Démontrez-moi, s’il vous plaît, vo douceur, |
Car autrement soyez acertainée, |
En languissant définiront mes jours. |

POEMES 16ème SIECLE.
Antoine de CHANDIEU (1534-?)

Qu’as-tu ? Pauvre amoureux…

Qu’as-tu ? pauvreamoureux, dont l’âme demi morte
Soupire des sanglots au vent qui les emporte.
N’accuse rien que toi. Ton mal est ton désir,
Et ce dont tu te plains, est ton propre plaisir.
Tu n’as autre repos que ce qui te tourmente,
Et t’éjouis au mal dont tu vas soupirant,
Buvant ce doux-amer qui t’enivre et qui rend
Ton plaisir douloureux et ta douleur plaisante.

Philippe DESPORTES (1546-1606)Amour, tu es aveugle et d’esprit et de vue

Amour, tu es aveugle et d’esprit et de vue,
De ne voir pas comment ta force diminue,
Ton empire se perd, tu révoltes les tiens,
Faute de ne chasser une infernale peste
Qui fait que tout le monde à bon droit te déteste,
Pour ne pouvoir jouir sûrement de tes biens.

C’est de ton doux repos la mortelle ennemie,
C’est une mort cruelle aumilieu de la vie,
C’est un hiver qui dure en la verte saison,
C’est durant ton printemps une bise bien forte,
Qui fait sécher tes fleurs, qui tes feuilles emporte,
Et, parmi tes douceurs, une amère poison.

Car, bien que quelque peine en aimant nous tourmente,
Si n’est-il rien si doux, ne qui plus nous contente,
Que de boire à longs traits le breuvage amoureux ;
Les refus, les travaux, ettoute autre amertume
D’absence ou de courroux font que son feu s’allume
Et que le fruit d’amour en est plus savoureux.

Mais quand la Jalousie envieuse et dépite
Entre au coeur d’un amant, rien plus ne lui profite,
Son heur s’évanouit, son plaisir lui déplaît,
Sa clarté la plus belle en ténèbres se change :
Amour, dont il chantait si souvent la louange,
Est un monstre affamé qui desang se repaît.

Hélas ! je suis conduit par cette aveugle rage ;
Mon coeur en est saisi, mon âme et mon courage.
Elle donne les lois à mon entendement,
Elle trouble mes sens d’une guerre éternelle,
Mes chagrins, mes soupirs, mes transports viennent d’elle,
Et tous mes désespoirs sont d’elle seulement.

Elle fait que je hais les grâces de Madame ;
Je veux mal à son oeil, qui les astresenflamme,
De ce qu’il est trop plein d’attraits et de clarté,
Je voudrais que son front fût ridé de vieillesse ;
La blancheur de son teint me noircit de tristesse
Et dépite le Ciel, voyant tant de beauté.

Je veux un mal de mort à ceux qui s’en approchent
Pour regarder ses yeux qui mille amours décochent,
A ce qui parle à elle, et à ce qui la suit.
Le Soleil me déplaît, sa lumière esttrop grande ;
Je crains que pour la voir tant de rais il épande,
Mais si n’aimai-je point les ombres de la nuit.

Je ne saurais aimer la terre où elle touche,
Je hais l’air qu’elle tire et qui sort de sa bouche,
Je suis jaloux de l’eau qui lui lave les mains,
Je n’aime point sa chambre, et j’aime moins encore
L’heureux miroir qui voit les beautés que j’adore,
Et si n’endure pas mes…