Génération

DOCUMENT 1.

[Dans la pièce de théâtre Ciels, le père Charlie Eliot Johns communique à distance avec son fils resté au Québec. L’adolescent doit effectuer un travail — à partir d’œuvres d’art — dont le thème est la beauté.]

CHARLIE ELIOT JOHNS. Bon. O.K. Ecoute ! Je n’ai pas envie de te parler de l’école, je ne veux même pas te parler de la nécessité de faire le devoir, O.K. ? Fais commetu veux. Mais il y a peut-être une autre manière de voir la chose. Ecoute-moi : on te donne l’opportunité d’aller dans un musée pour regarder des œuvres d’art. Ne vois pas ça comme une obligation, O.K. ? Mais comme une occasion. Essaye de faire cet effort. Pas pour le devoir, non, tu as raison, le devoir n’a aucune importance, mais pour toi ! Il faut bien que tu te fasses une idée sur l’art et labeauté ! Comment tu veux grandir sinon ? Comment tu veux faire pour savoir qui tu es et d’où tu viens si tu ne t’intéresses pas à ce qui a existé avant toi ? Tu vas voir des couleurs qui nous viennent du Moyen Age : un jaune, un rouge ! Tu vas être devant des bleus qui ont été posés sur la toile avant la fondation de Québec et qui ont gardé le même éclat ! Tu verras des verts qui étaient là bienlongtemps avant ta naissance et qui vont continuer à être là bien longtemps après ta mort ! C’est une chance ! Ne passe pas à côté ! Ça te fera voyager, Victor, et peut-être ressentir des sensations nouvelles ! Tu n’es pas obligé d’y rester huit heures ! Tu fais le tour, tu vas boire un café puis tu retournes voir les tableaux qui te sont restés en tête ! C’est tout ! Quand je reviendrai, on yretournera et on les regardera ensemble ! Qu’est-ce que tu en penses ?
VICTOR ELIOT JOHNS. O. K.
CHARLIE ELIOT JOHNS. Le pire qui puisse arriver, c’est que tu t’ennuies, c’est tout.
VICTOR ELIOT JOHNS. O. K. !
CHARLIE ELIOT JOHNS. Bon. Et ce que je te propose, c’est que ce devoir, on le fasse ensemble ; le diaporama, on le construit ensemble, on fait le montage des images ensemble, on discuteensemble sur la beauté, je t’aide à clarifier tes idées !
VICTOR ELIOT JOHNS. Comment ça ?
CHARLIE ELIOT JOHNS. Tu vas au musée, tu prends les photos des œuvres qui te plaisent, tu me les envoies par mail, on les regarde ensemble, je te propose un montage, je te pose des questions, on se fait des séances de travail et tout ça…
VICTOR ELIOT JOHNS. Ah O.K.
CHARLIE ELIOT JOHNS. Ça te plaît ? Moi,je t’avoue, ça me ferait extrêmement plaisir ! C’est vrai, on ne fait jamais rien ensemble…
VICTOR ELIOT JOHNS. O. K. Je vais le faire !
CHARLIE ELIOT JOHNS. Bon ! Ce qui serait vraiment bien, c’est que l’on puisse avoir les photos le plus rapidement possible, pour qu’on puisse avoir du temps… qu’est-ce que tu en penses ?
VICTOR ELIOT JOHNS. Oui, oui, je te… je vais y aller !
CHARLIEELIOT JOHNS. Et ne prends que les œuvres qui t’auront réellement plu ! C’est ton regard, ta manière de voir qui comptent. Tu me le promets ?
VICTOR ELIOT JOHNS. Oui, oui, je te… je te le promets !

Wajdi Mouawad, Ciels (2009).

DOCUMENT 2.

Vieux et jeunes

Le cycle de la vie ne s’arrête pas de tourner. Le simple jeu du renouvellement des générations fait qu’on ne peut baisser lagarde. On n’en a jamais fini avec la transmission du code culturel. Il faut le reprogrammer en permanence. Mais surtout, il faut programmer les nouveaux arrivants. C’est affaire de patience et donc de réussite. Pas sûr que les bleus1 adhèrent aux valeurs qu’on s’évertue à leur inculquer. Leurs pères auront beau leur dire que leur expérience leur a appris à ne pas retomber dans les mêmes errements,ils voudront le vérifier par eux-mêmes. Ils auront l’insolence de n’accepter l’héritage que sous bénéfice d’inventaire2. La rupture sera consommée avec le désir de fonder une contre-culture qui ne tardera pas à devenir, avec le temps, la culture de référence. L’histoire est toujours « à suivre », ouverte sur l’inconnu et le surprenant : « Le progrès est loin d’avoir toujours suivi une ligne…