Intellectuels

Jusqu’aux années 1980, les recherches historiques ou sociologiques sur les intellectuels ont été peu nombreuses. Depuis leur apparition, au moment de l’Affaire Dreyfus, en tant que groupe dansl’espace public, leur désignation d’abord péjorative s’était banalisée. Mais surtout l’intérêt pour cet objet avait été progressivement monopolisé par les intellectuels eux-mêmes, qu’ils soient au cœur depolémiques ou au contraire de plaidoyers pro domo de ceux qui entendaient justifier ainsi leur entrée en politique – le Plaidoyer pour les intellectuels (1972) de Jean-Paul Sartre venant ainsi répondre àL’Opium des intellectuels (1955) de Raymond Aron. Après la mort de Sartre en 1980 et d’Aragon en 1981, qui paraissait clore une ère, comme en témoignent les litanies sur la « mort des intellectuels »,les travaux universitaires sur ce thème ont connu une croissance exponentielle. Schématiquement, deux manières d’en traiter se sont imposées. La première, plutôt représentative de l’histoirepolitique, se présente comme l’étude de leurs prises de position, au gré des sollicitations, des événements et des crises politiques. Ceux qui font profession d’écrire, de penser ou de peindre, sortent alorsde leur « tour d’ivoire » pour reproduire le geste fondateur du « J’accuse… ». La seconde, relevant de l’histoire sociale et de la sociologie, dans la lignée notamment des travaux de PierreBourdieu, suppose que l’orientation politique de ces prises de position, et même leurs formes (la pétition, la déposition lors d’un procès, la tribune dans les journaux ou l’œuvre engagée) s’expliquent avanttout par la position de chacun de ces intellectuels au sein de leur espace professionnel respectif.
C’est dans cette dernière perspective que se place le présent numéro consacré aux engagementsintellectuels. Il se propose d’explorer des pistes moins balisées, à partir d’une réflexion sur les transformations des modes d’intervention politique des intellectuels depuis la fin de la Deuxième…