Le fantastique

Le Fantastique

par Jany Boulanger, Cégep du Vieux Montréal.

Pour intéresser dans le conte fantastique, il faut d’abord se faire croire, et […] une condition indispensable pour se faire croire, c’est de croire […]. J’en avais conclu que la bonne et véritable histoire fantastique ne pouvait être placée convenablement que dans la bouche d’un fou. Charles Nodier, Préface de La Fée aux Miettes

Le XIXe siècle est aveuglé par le rêve d’un monde meilleur permis par les avancées spectaculaires de la science et de la technologie. Le positivisme, philosophie qui récuse la religion, la métaphysique et l’imagination pour privilégier la seule connaissance des faits réels, bat son plein et provoque l’émergence de nouvelles théories scientifiques quicherchent à comprendre le vivant tout en le réduisant commodément à un système rationaliste et fonctionnel. Partout, en ces lendemains de la Révolution industrielle, on célèbre les victoires du Progrès par de nombreuses expositions universelles. Pourtant, une réalité sociale catastrophique sévit dans toute l’Europe : le prolétariat connaît des conditions inhumaines (les ouvriers sont maltraités et malpayés et leurs enfants, dès l’âge de douze ans, travaillent dans les mines et les usines); les conditions d’hygiène sont effroyables; les épidémies se multiplient… C’est pourquoi, dans cette société qui a tout sacrifié au scientisme — Dieu y compris—, l’homme en vient à se révolter non seulement contre le fantasme de pouvoir et de contrôle de la science, mais également contre l’idéologie même duProgrès en revendiquant le retour du rêve, du mystère, de l’imagination et même… de l’incertitude! Aussi, des écrivains tels que Honoré de Balzac, Guy de Maupassant, Théophile Gauthier, Edgar Allan Poe et E.T.A Hoffman prêteront leur voix à tous ceux qui, comme eux, sont désenchantés par cette époque contradictoire. Ensemble, ils créeront le fantastique qui, mieux que tout autre genre littéraire,exprimera les peurs les plus profondes et les plus inavouables de l’homme d’hier et d’aujourd’hui.

Dérivé du grec « phantatikos » (fantôme) et « phantasia » (imagination), le mot « fantastique » est défini par l’historien de la littérature Pierre-Georges Castex comme étant « une intrusion brutale du mystère dans la vie réelle; […] lié généralement à des états morbides de la conscience, qui, dansles phénomènes de cauchemar ou de délire, projettent devant elle des images de ses angoisses et de ses terreurs. » (Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, José Corti, 1951). Fait intéressant à noter ici: le fantastique, associé au bizarre, à l’insolite et au surnaturel, doit s’inscrire dans le réel pour mieux en exprimer l’ « autre versant », plus menaçant et énigmatique. Ainsi,comme la fillette dans Alice au pays des Merveilles (1865) de Lewis Carroll, le lecteur des récits de ce genre doit accepter de se prêter à la traversée des apparences, c’est-à-dire de passer de l’autre côté du miroir, afin d’arriver à un monde où tout est possible.

Folie, hallucination, diable, dédoublement, vampire… voilà ce que rencontrent tous ceux qui s’aventurent dans les sombres contréesdu fantastique. Au XIXe siècle, nombreux sont les écrivains qui aiment cultiver les expressions de la peur et de l’inconnu pour, d’une part, répliquer aux « certitudes » rationnelles et scientifiques de leur époque et, d’autre part, pour renouer avec l’irrésistible plaisir associé à la transgression des lois de la Raison. En effet, être immortel, invisible ou autre, n’est-ce pas là un rêve fou,mais permanent de tout homme? Si ce type d’histoires permet de réaliser nos plus folles envies, il peut également servir d’exutoire à nos angoisses. Enfant, qui ne s’est pas amusé à fréquenter inlassablement la maison hantée d’une fête foraine ou à regarder de nombreuses fois le film d’horreur qui le fait frissonner? Par la lecture de ces récits, les amateurs du…